DP World rachète P&O Ferries, un remake ?

Un hoquet ? Un bégaiement de l’histoire ? Ces dernières heures, toute la presse a relayé une information, qui a pour sources un communiqué de presse de DP World et une dépêche en anglais de Reuters, selon laquelle l’exploitant portuaire émirati « rachète » P&O Ferries.

Ne l’avait-il pas fait en 2006 en mettant sur la table 3,9 Md£ (4,4 Md€) pour rafler la mise et l’emporter face au Singapourien PSA qui en offrait 3,5 Md£ ? N’avait-il pas absorbé cette année-là, le portefeuille d’actifs du groupe britannique, qui comptait alors une compagnie de transport maritime (P&O Ferries), de croisière (qui continue d'exister sous le nom de P&O Cruises au sein du leader mondial Carnival), des services logistiques (P&O Ferrymasters), des activités maritimes et portuaires (P&O Maritime services) ? N'était-il pas le seul actionnaire ? Un document financier datant de 2006 établi par l’opérateur de Dubaï à l’intention des investisseurs atteste qu’il a bien mis la main à 100 % sur la totalité des actifs, y compris Ferrymasters Ltd, le terminal à conteneur de Southampton et des intérêts dans un port de l'Essex.

Non, l’Émirati n'achète pas vraiment P&O Ferries. Au moment de l’acquisition du groupe en 2006, le groupe britannique avait été désolidarisé et rattaché directement à Dubaï World, la maison-mère de DP World, dont l’actionnaire est le gouvernement de Dubaï. Le fonds souverain s’active ces derniers temps pour mettre en ordre de bataille stratégique son portefeuille d’activités où se sont dessinés quelques centres d'intérêt parmi lesquels la logistique, le transport maritime et réparation navale. Dans le maritime, il a procédé récemment à quelques acquisitions symboliques de sa volonté d'élargir ses « compétences », avec l’acquisition en 2017 de Maritime World Logistics et de Drydocks World, « le plus grand chantier de construction navale du Moyen-Orient », pour lequel il a déboursé 450 M$.

La réintégration de P&O Ferries et sa branche logistique P&O Ferrymasters (19 sites en Europe) dans le giron de DP World – moyennant un chèque de 322 M£ (371 M€) pour la compagnie qui réalise 974 M£ de CA (1,1 Md€) - s’inscrit donc dans ce process global, que Paul Tourret, directeur de l’Isemar, estime que l'on peut y lire « sans spéculation excessive deux marqueurs forts : les émiratis se dotent d’une véritable stratégie maritime et P&O Ferries pourrait en être un élément clé ou du moins, elle est de nouveau considérée comme un actif important ». 

 

En 2017, Dubai World a acquis Maritime World et le chantier de construction navale Drydocks World.

« Fournisseur de logistique intégrée de premier ordre »

Le « regain d’intérêt » du nouveau propriétaire est en effet à interpréter à la lumière des derniers mouvements du manutentionnaire, qui n’a pas caché ses intentions de « jouer » d’autres cartes pour s’affranchir d’un secteur portuaire saturé. En août, il créait d’ailleurs la surprise en mettant sur la table 765 M$ (660 M€) pour acquérir le 6e armateur mondial de feeders Unifeeder auprès de Nordic Capital Fund VIII. La compagnie danoise est un acteur européen historique du transport en courte distance (fondé en 1977) avec une soixantaine de navires. Outre le positionnement sur le shortsea, c’est aussi une opportunité pour un manutentionnaire de s’établir sur les quais des ports dits de second rang, là où il n’était pas encore. Ce qui peut être stratégique dans une organisation, qui en privilégiant les grands hubs, rend de fait essentielles les dessertes vers les ports secondaires où s’opère le transbordement.

Avec P&O Ferries, que DP World présente comme « un fournisseur de logistique intégrée de premier ordre », ce qui ne serait peut-être pas d’emblée et au premier abord ainsi que la qualifierait la plupart, DP World met la main sur le leader de l’activité transmanche avec 57 % de parts de marché et 1,75 million d’unités de fret. Ces dernières années, la compagnie, qui opère une vingtaine de ferries sur huit lignes, dont six entre le Royaume-Uni et le continent européen et deux vers l’Irlande, a accumulé les mois de croissance, parfois à deux chiffres. De quoi tenir en respect son grand rival danois DFDS, leader sur le marché du shortsea en Europe du Nord. Tous deux s’étalonnent dans le roulier et rivalisent dans la course à la capacité. DFDS accueillera cette année les premières unités d’une série de quatre méga-rouliers (6 700 m linéaires, une capacité de 450 poids lourds de 14 m de long) tandis que P&O Ferries a fait savoir en juin dernier, par la voix de sa directrice générale, Janette Bell, dans un entretien au Financial Mail, que « les plans étaient établis pour deux nouveaux ferries transmanche d'un coût 150 M€ chacun ».

Tilbury vient de recevoir l'autorisation pour lancer les travaux de son second terminal (200 M£).

Tilbury2, feu vert

Dans la perspective d’un Brexit sans accord et d'une congestion sur la route Douvres-Calais, développer d'autres portes d’entrée que Douvres pour le fret roulier et les remorques et conteneurs non accompagnés de l'UE, a du sens. C’est exactement ce qu’a fait P&O, dont la liaison maritime phare est pourtant Calais-Douvres, en développant plus ou moins discrètement des itinéraires alternatifs et un courant de fret à partir de Zeebrugge et de Rotterdam vers les ports du nord du Royaume-Uni (Hull, Teesport, Tilbury). Tous trois ont considérablement investi ces dernières années pour développer leurs installations.

La route Tilbury-Zeebrugge de P&O Ferries pour les remorques non accompagnées est celle qui connaît actuellement la croissance la plus rapide du port londonien. Troisième plus grand terminal à conteneurs du Royaume-Uni avec Le London Container Terminal (LCT) et ses 500 000 EVP, acquis par DP World en 2012, Tilbury vient du reste de recevoir l'autorisation pour lancer les travaux de son second terminal (200 M£) qui comprend une jetée en eau profonde, une nouvelle liaison ferroviaire et routière, et des installations pour le roulier. P&O Ferries a également augmenté sa capacité de 25 % sur son service fret Zeebrugge-Teesport. Le port, à 5 km de la mer du Nord, a commencé à recevoir de nouvelles liaisons directes du spécialiste shortsea Unifeeder à destination et en provenance d’Anvers et de Dunkerque.

Rétrospectivement, on ne peut que mieux comprendre la décision de P&O Ferries de passer six navires opérant entre Calais et Douvres sous pavillon chypriote au détriment du UK Ship Register. Elle se met en ordre de marche pour affronter la concurrence à armes égales.  

Ahmed ben Soulayem, le président de DP World, déclarait encore il y a quelques jours que les atermoiements de la classe politique britannique sur les conditions du Brexit empêchaient son entreprise de prévoir avec clarté l'évolution de ses activités au Royaume-Uni. La brume ne l'empêche pas de s'activer de l'autre côté...

Adeline Descamps (avec la contribution de Robert Jaques)

                                                  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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