Pas de taxe sur la tonne de fuel, avaient tranché les délégués du Comité de la protection du milieu marin de l'OMI (MEPC 78), qui s’est tenu en juin. Dans cette enceinte où s’arbitrent et se négocient les futures normes réglementaires concernant notamment la décarbonation du transport maritime, l’introduction d’un prélèvement de 2 $ sur la tonne de combustible de soute pour abonder un fonds international de R&D (soit 500 M$ par an) avait été rejetée. L’initiative, portée par la Chambre internationale de la marine marchande (ICS), qui revendique la représentation de tous les métiers de plus de 80 % de la flotte marchande mondiale, était destinée à financer ce qui s’apparente à une révolution copernicienne dans la propulsion.
« Malgré le soutien de nombreux États membres de l'OMI [Danemark, Grèce, Japon, Singapour, Géorgie, Liberia, Malte, Nigeria, Palau et Suisse, entre autres, NDLR], nous avons été frustrés par des manœuvres politiques à courte vue qui ont conduit à l'abandon de la proposition. Le risque financier associé à l'investissement vert restera élevé, ce qui ralentit les efforts pour passer le plus rapidement possible à des carburants sans carbone », avait réagi Guy Platten, le secrétaire général de l’ICS, dans un communiqué.
Le dirigeant déplore que la proposition ait été assimilée à une mesure basée sur le marché. « Le fonds n'a jamais été présenté comme une mesure de tarification du carbone, qui, bien qu'étant une mesure supplémentaire que nous soutenons aussi pleinement, est politiquement beaucoup plus complexe et prendra beaucoup plus d'années à développer. Si les gouvernements avaient fait preuve de la volonté politique nécessaire, le fonds de R&D aurait pu être opérationnel dès l'année prochaine, recueillant des milliards de dollars auprès de l'industrie sans aucun coût pour les gouvernements. »
Contribution forfaitaire obligatoire
Le refus digéré, l’ICS revient avec une proposition reconfigurée en un système de « financement et de récompense » en faveur des pionniers « à avoir recours ou à produire » des carburants verts tandis que les navires seraient gratifiés en fonction du volume d'émissions de gaz à effet de serre économisé. La mesure serait financée par une contribution forfaitaire obligatoire des navires par tonne de CO2 émise. Par exemple, un navire fonctionnant à l'ammoniac pourrait bénéficier d'une économie de coûts de plus de 1,5 M$ par an. L'organisation estime que le dispositif pourrait être mis en place d'ici 2024.
La proposition a été soumise à l’OMI dans la perspective d’une réunion technique en décembre, après la COP 27 (6-18 novembre) et avant le MEPC79 du 12 au 16 décembre.
Retour du fonds de financement de la R&D
« Avec cette proposition, les États membres de l'OMI disposent d'une nouvelle, mais très courte, opportunité de mettre en place une mesure économique mondiale qui puisse donner un coup de fouet au développement et à la production de carburants alternatifs pour le transport maritime. Pour atteindre l'objectif "zéro émission nette" au milieu du siècle, ces nouveaux carburants doivent commencer à être disponibles en quantités significatives sur une base commerciale au plus tard en 2030 environ », défend le président de l’ICS Emanuele Grimaldi.
L'ICS milite par ailleurs en faveur d’une idée proche de son précédent plan, à savoir, consolider les contributions financières dans un « Fonds international pour la durabilité maritime ». Selon l'organisme, un tel fonds permettrait de « collecter des milliards de dollars par an » et de compenser la réduction de l'écart de prix (significatif) entre les carburants fossiles et les alternatives vertes. « Il apporterait aussi un soutien aux investissements indispensables dans les pays en développement pour la production de nouveaux carburants marins et d'infrastructures de soutage. »
Pas d’impact démesuré
Selon l’ICS, cette proposition garantirait qu'au moins 5 % de l'énergie consommée par la flotte mondiale en 2030 soit issue de carburants alternatifs.
Une étude d'impact réalisée par Clarksons Research tand à montrer qu'une contribution financière allant jusqu'à environ 100 $/t de CO2 émise « n'aurait pas d'impact négatif démesuré sur les économies des États ». La Chambre internationale de la marine marchande estime que les contributions pourraient être initialement fixées à un niveau beaucoup plus bas et faire ensuite l'objet d'un réexamen tous les cinq ans à mesure que les nouveaux combustibles deviendront disponibles.
Le PDG de Maersk, Soren Skou, qui n'est plus membre du conseil d'administration de l'ICS dont il s’est désolidarisé en raison de la politique en matière de carbone (pas suffisamment ambitieuse), estime pour sa part que cette taxe doit être de l’ordre de 150 $/t, le niveau jugé nécessaire pour avoir un effet de levier sur les carburants alternatifs. L'année dernière, le négociant en matières premières Trafigura a estimé qu'un système de taxation et de subvention devrait faire payer jusqu'à 250 à 300 $ par t de CO2 pour être probant.
Adeline Descamps