Blocage des ports : L’hystérie collective

 

La réforme des retraites justifie-t-elle ce grand « feu de joie » dans les ports ? Pris dans un conflit général qui les dépasse, les grands ports maritimes français, que l’on décrit comme les poumons de l’économie, n’assurent plus aucune fonction vitale et entraînent, dans le mouvement, ceux qui en dépendent. Pour autant, les impacts à long terme restent à prouver.

« Trop, c’est trop », tonnent, dans un communiqué collectif, les industriels agroalimentaires et acteurs de la logistique du froid*, dernières fédérations professionnelles en date à s’être emparé d’un sujet qui vire à la radicalité de part et d’autre. Tandis que les personnels portuaires en grève maintiennent la pression sur « le retrait pur et simple du projet de réforme sur les retraites » et se relaient dans les débrayages, les professionnels et usagers des ports s’alarment des conséquences post-crise, à commencer par celle d’une image durablement écornée.

« Quand on regarde les trafics conteneurs en France, aucun des mouvements sociaux, locaux et nationaux n’a eu un impact significatif sur le conteneur en matière de macroéconomie portuaire. La dernière crise fut consécutive à la loi Travail, dite  loi El Khomri, adoptée en 2016. L’analyse des trafics trimestriels conteneurs avant, durant et après la loi – 2015, 2016 et 2017 –, montre que les trafics ont oscillé à la marge, du moins à Marseille », plante Paul Tourret, qui dirige l’Isemar, Institut supérieur de l’économie maritime, basé à Saint-Nazaire. « Les trafics conteneurs vont être perturbés à court terme car le mécanisme portuaire est bloqué mais les trafics conteneurs à l’export reviennent toujours. On ne change pas d’un jour à l’autre une organisation logistique surtout si c’est pour opter pour Anvers où la congestion est un vrai sujet. En revanche, les lignes plus concurrentielles sont problématiques, comme celles de la grande distribution. Et cela peut aussi avoir pour effet de refroidir le transbordement sur le Havre ».

Le niveau de radicalité est propre à chaque place portuaire »

L’économiste reconnaît toutefois que la crise est grave dans le sens où elle alimente un vieux préjugé général sur les ports français, communément admis chez les chargeurs, logisticiens et transitaires, selon lequel leurs dysfonctionnements seraient le fruit d’une sur-syndicalisation portuaire et d’un népotisme cégétiste. D’un côté, il y aurait une défiance historique des uns, qui ne se justifierait pas vraiment, de l’autre une radicalité sociale, qui au vu des conditions d’emploi et du mode de fonctionnement des ports, ne se légitimerait pas davantage.

« Le niveau de radicalité est propre à chaque place portuaire, où se mêlent inextricablement des histoires entre les fédérations locales, des jeux d’appareil à l’intérieur de la CGT par département, des rapports de force entre le port et la centrale parisienne de la FNPD, des désaccords entre les syndicats représentant les différents métiers (dockers, remorqueurs, portiqueurs), de vives concurrences entre les différents syndicats, dont l’enjeu est aussi de préserver leur représentativité, voire d’histoires politiques locales, plus ou moins travaillées par un ouvriérisme communiste…», décrypte-t-il.

Ne pas payer certains frais superfétatoires »

Surcharges des armateurs

En attendant, la France est le théâtre d’une hystérisation collective, entre d’un côté, les chargeurs annonçant faire l’impasse définitivement sur l’expérience portuaire française et menaçant l’État de recours en justice pour inaction et de l’autre les personnels en grève renvoyant tout cela à des jérémiades entrepreneuriales et jouant la grève perlée tandis que les fédérations professionnelles ponctuent chaque jour de bilans d’impact acablants.

Les armateurs, eux, annoncent des surestaries…Le leader mondial du conteneur, Maersk, a annoncé la mise en place d'une surcharge pour engorgement portuaire, de 125 $ par conteneur de 20 pieds et 240 $ par 40 pieds à l’export, et de 300 et 600 $ à l'import. MSC a fait parvenir une note à ses clients annonçant pour les entrants un surcoût de 680 $ et 800 $ selon le conteneur de 20 ou 40 pieds. Certains représentants de transitaires ont pour leur part, dans une adresse à leurs adhérents, recommandé de ne pas payer certains frais « superfétatoires » telles les factures de manutentionnaire, de gardiennage, et stationnement, ou les surestaries et détention des agents maritimes.

Suppression d’escales

Le géant allemand Hapag-Lloyd s’est inscrit dans les pas de MSC, qui avait dès décembre suspendu ses escales à Fos (11 au total), en annulant ses réservations de conteneurs à Fos et au Havre. Ce sont pour Le Havre 11 lignes impactées au total : quatre transatlantiques Amérique du Nord, une vers l’Extrême Orient (Asie, Japon, Corée), une vers l’Afrique du Sud, une ligne vers l’Australie via la Réunion (aussi via Fos), quatre vers le sous-continent indien et une vers Singapour. Au départ de Fos, la décision du 5e transporteur mondial de conteneurs affecte six lignes dont deux vers le continent nord-américain et une vers l’Asie. 

Du côté des industriels, l’exaspération gagne aussi du terrain. « 90 % des conditions de ventes étant en FCA (Free carrier), l’on ne peut pas facturer tant que la marchandise n’est pas sortie de l’usine. Pour les exportateurs empruntant le maritime, cela commence au FOB (Franco on board) et tant que la marchandise n’est pas embarquée, il n’y a pas de facturation , explique Philippe Zichert, membre du directoire d’une PMI marseillaise de la Chimie (filiale d’un groupe italien).

Production impactée

« Beaucoup de nos industries ont des intrants et des produits finis bloqués depuis des jours. Non seulement les matières premières, déjà en stock sont consommées, mais les produits finis sont bloqués dans les entrepôts surchargés voire sur les parkings. Pour éviter l’engorgement, les chefs de fabrication réduisent le niveau de production. Le temps de travail est de fait impacté », explique celui qui est aussi président de l’association de promotion de la place portuaire de Marseille, Via Marseille-Fos.

Même tonalité du côté des acteurs de la chaîne du froid. « À l'export, les reports d'expédition de marchandises mettent en grande difficulté les entrepôts frigorifiques, dont les niveaux de stock sont déjà proches de la saturation. À l'import, les grèves génèrent de nombreux surcoûts liés aux frais de détention, stationnement et branchement des conteneurs reefer sur les terminaux portuaires. Il en découle une pénurie de matières premières et l'arrêt de sites de transformation, ou l’impossibilité de livrer les clients qui, en conséquence, se tournent vers des concurrents européens ».

Les terminaux anversois saturent

Pendant ce temps, à Anvers – où la dernière grève remonte à février 2019 pour des raisons également liées à un mouvement national sur les conventions collectives – les terminaux, servant de refuges aux conteneurs « échoués », saturent. Les transporteurs routiers, amenés à assurer des prestations jusqu'à Marseille et d’autres régions du sud de la France, ne parviennent plus à répondre à la demande, quand leurs activités se limitent d’ordinaire à un rayon de 400 à 500 km. Les chargeurs, eux, ne regarderaient même plus le prix, prêts à payer cher pour qu’on leur assure le service…

Adeline Descamps

* ADEPALE (Association des entreprises de produits alimentaires élaborés), La chaine logistique du froid, la CSIF (importations de fruits et légumes frais en provenance de pays tiers), EGS (Glaces et Surgelés), FEDALIS (produits alimentaires réfrigérés), FIPA et SNCE (opérateurs du commerce extérieur de produits alimentaires)

Des conséquences économiques qui se précisent

Les professionnels de la place portuaire d’Haropa présentent à leur tour la facture

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