2021, année hautement improbable et 2022 ?

Du premier au dernier jour de 2021, le transport maritime de conteneurs a été rythmé par des chocs et contre-chocs. Tout le secteur sort rincé de ces 365 jours sans répit. Les taux de fret sont au zénith. Il n’y a jamais eu autant de porte-conteneurs et de conteneurs mobilisés là où ils ne sont pas nécessaires. Les ports sont défaits. La supply chain est sens dessus dessous. Rétro et perspectives.

Le premier semestre de l’année 2021 s’était achevé avec la montée en puissance d’un dénommé Delta. La seconde partie de l’année tire sa révérence avec la montée en puissance d’un nouveau-né Omicron alors que son aîné dans la satanée fratrie des perturbateurs covidiens est à peine maîtrisé. Sale temps pour la planète mais belle époque pour les armateurs de la ligne conteneurisée.

L’absence de visibilité a été la meilleure alliée des taux de fret l’an dernier. Le front portuaire ouest-américain ressemble toujours au far west. La ruée sauvage des Américains qui, privés de sorties, loisirs et restaurants, se sont littéralement abandonnés aux achats frénétiques, d’équipements de la maison et de matériel informatique, ne manifeste toujours pas d’essoufflement.

Les ventes au détail aux États-Unis sont devenues un des facteurs clés pour apprécier l’état de la chaîne d’approvisionnement mondiale. Le phénomène n’a rien d’anodin car la consommation effrénée outre-Atlantique est en grande partie responsable de l’engorgement des deux principales portes d’entrée américaines pour les importations conteneurisées, Los Angeles et Long Beach.

Elles devraient totaliser 26 MEVP en 2021 dans les 13 principaux ports à conteneurs des côtes Est et Ouest de l’Amérique du Nord, un niveau jamais atteint depuis que la NRF, la fédération des détaillants américains, a commencé à en tracer l’évolution en 2002.

Selon les projections de la puissante fédération, la lune de miel avec la consommation devrait se prolonger quelques mois encore : les ports américains devraient traiter 2,24 MEVP en janvier (en hausse de 9 % par rapport à janvier 2021), 2 MEVP en février (+ 7,3 % sur une base annuelle) et 2,19 MEVP en mars, en léger repli de 3,3 %, mais pour repartir à la hausse ensuite.

Records de retards

Entre mi-mai et début octobre 2021, le temps de transit moyen entre les ports chinois et ceux de la côte Ouest américaine est passé de 19 à 36 jours, selon une estimation du transitaire numérique Shifl, quand il faut habituellement compter entre 16 et 18 jours.

Pendant une bonne partie de l’année, les navires inactifs au large des ports de la baie de San Pedro, dans l’attente de pouvoir décharger, a oscillé entre la cinquantaine et la centaine. Et jusqu’à 250 000 conteneurs se sont empilés sur les quais, traduction manifeste des 25 % de marchandises supplémentaires réceptionnées au cours des huit premiers mois de l’année par rapport à la même période en 2019, selon Container Trades Statistics.

Les importations de jeux, jouets et articles de sport ont bondi de 74 % et les appareils ménagers de 49 % d’après Capital Economics, qui a voulu faire parler les boîtes. De l’autre côté du Pacifique, d’où sont importés les conteneurs destinés à satisfaire la consommation sans fin, jusqu’à 75 navires ont pu être immobilisés le long des côtes de Ningbo/Zhoushan à certains moments critiques soit 306 538 EVP stockés en mer.

Accumulation inédite

Tout au long de l’année, le système s’est ainsi auto-entretenu. La poussée de la consommation à des niveaux inédits a alimenté la congestion portuaire laquelle s’est nourrie du manque de conteneurs et de navires et de l’indisponibilité (sanitaire) de la main d’œuvre. La panique chez certains importateurs, déclenchant des achats compulsifs et excessifs, a fait tourner la machine à plein régime.

L’ensemble a engraissé en permanence l’indice SCFI – au plus fort de l’année, il a pu afficher un taux de croissance de 230 % sur un an – et gonflé les files d’attente des navires au large des plus grands hubs mondiaux. Jusqu’à 427 navires ont été comptabilisés par Vessels Value au pic de la crise, totalisant près de 3 MEVP, soit pour exemple la totalité de la capacité portée par la flotte de CMA CGM.

Le moindre aléa, comme la fermeture d’un terminal stratégique dans un des premiers ports mondiaux, Yantian, Ningbo ou Xiamen, ou le blocage d’une voie de transit international comme le Canal de Suez, a ranimé la combustion. À chaque choc sur la supply chain, un « après » similaire à gérer : les conteneurs en sortie à évacuer, les marchandises détournées à récupérer, les afflux à gérer en décalé, les tensions sur la disponibilité des conteneurs et le repositionnement des boîtes vides à prévoir... In fine, chaque choc a été le miroir grossissant d’un système, côté terre et côté mer, apparemment pas dimensionné pour subir des à-coups brutaux.

Des fauteurs de troubles

Mais le plus rocambolesque fauteur de troubles reste ce « navire géant », comme l’ont appelé les médias, qui s’est placé en travers de la voie royale de la navigation maritime, par où transitent près de 10 % du commerce mondial. Le temps d’une semaine, le théâtre de son échouement a offert au monde, assigné à la maison sur une bonne partie du globe, le spectacle amusé d’un navire capricieux au bulbe d’étrave encastré dans la rive. La planète s’en est vite désintéressée pour un autre hochet d’intérêt.

Mais pendant ce temps, en dépit d’un déluge de moyens, il aura fallu six jours et un renfort coûteux pour libérer l’Ever Given. Le gestionnaire de l’infrastructure égyptienne SCA (Suez Canal Authority) ne manquera pas de s’en servir pour réclamer aux responsables une indemnisation conséquente au titre d’atteinte à son image et du préjudice subi en pertes de trafics. Il faut dire que des centaines de porte-conteneurs se sont agglutinés de part et d’autre du passage de 193 km, pris en otage à leur tour.

Explosion des tarifs

L’événement, qui a amusé les médias généralistes, a créé d’importants remous dans une chaîne d’approvisionnement au bord de la crise de nerfs. Et alors que les taux de fret de fret flambent déjà, l’Ever Given va faire sauter toutes les digues, y compris les barrières psychologiques de prix. Les chargeurs sont prêts à tout pour éviter les ruptures de stocks, qui se vident aussi vite qu’ils se reconstituent, dévalisés par une inépuisable demande. Ils contribuent en cela à l’escalade des taux de fret. Certains transitaires évoquent alors des tarifs entre 20 000 et 30 000 $ pour transporter une vulgaire boîte en acier entre Asie et Amérique du nord.

« Au vu des enjeux, vous êtes amenés à accepter un coût de transport à 25 000 $ le conteneur car la perte que vous allez endosser sera de toute façon moins préjudiciable que si la marchandise reste à quai en chine », explique Franck Mathais, le repré-sentant de JouéClub, concerné à double titre par des conteneurs onéreux. Le groupe importe d’Asie ses jouets pour ses propres magasins, mais est aussi le client de grandes marques internationales.

La situation est telle qu’elle pousse les transitaires (DSV, Geodis, Bolloré) et les grands retailers (Home Depot, Walmart, Ikea, Cotsco, John Lewis, Asda...) à affréter eux-mêmes leurs navires. Des porte-conteneurs quasi-fantômes dont on verra finalement peu la couleur de la proue à quelques rares exceptions près : le Great Profit pour Home Depot ou le Flying Buttress pour Walmart.

Pour les armateurs, c’est aussi le rallye aux navires. Et ils sont tout autant prêts à payer le prix fort pour trouver la denrée rare auprès de propriétaires de flotte non exploitants, qui profitent logiquement de la situation pour imposer des durées d’affrètement au long cours et des prix élevés, sécurisant leurs liquidités pour quelques années. Dans cette économie de la pénurie, bienheureuses sont les compagnies qui, comme HMM et MSC, attendaient des navires à la livraison. La plus chanceuse est sans doute la sud-coréenne HMM qui s’est vu livrer ses 12 mastodontes de 23 000 EVP à point nommé pour répondre en puissance au boom de la demande de transport. Cette force d’appoint, conjuguée à son intégration au sein d’une des trois principales alliances, l’ont installée dans un statut de grand opérateur est-ouest.

Menace réglementaire

En fin d’année, les observateurs ont assisté, hébétés, à la descente sur les quais du président de la plus grande économie mondiale. Convoqués par Joe Biden, les grands chargeurs (Walmart, Samsung, Target et Home Depot), les transitaires (FedEx, UPS), les chauffeurs routiers et les syn-dicats des personnels portuaires, ferroviaires et routiers, ont été vigoureusement incités à mettre un terme à la pagaille alors que 60 000 conte-neurs jonchaient les quais et 82 porte-conteneurs patientaient le long des côtes californiennes avant de pouvoir accoster.

« Je veux être clair. Il s’agit d’une demande de passer à un fonctionnement en continu 24h/24, 7j/7. L’administration invitera le secteur privé à agir s’il ne le fait pas », a appuyé le président Biden tout en faisant pression pour que soit enrayée, aussi, la hausse des prix du trans-port et semblant s’intéresser de près aux mécanismes concurrentiels dans le transport maritime de conteneurs. La Federal maritime commission (FMC) a ainsi été sommée d’auditer huit transporteurs maritimes (CMA CGM, Hapag-Lloyd, HMM, Matson, MSC, OOCL, SM Line et ZIM).

2022, une autre année profitable ?

Les hausses extrêmes des taux de fret se sont naturellement traduites par une explosion des bénéfices des transporteurs qui ont tous réalisé des exercices trimestriels inédits. Dans son dernier rapport Container Forecaster, Drewry estime que le secteur du conteneur pourrait engranger 1500 Md$ de bénéfices (Ebit). Il aura revu à la hausse plusieurs fois ses prévisions au cours de l’année. Sa dernière mise à jour, plus de quatre fois supérieure à la première projection, témoigne à elle seule de la fulgurance du marché.

Les transporteurs n’ont pas thésaurisé, loin de là. Ils ont utilisé leurs profits de diverses manières « en remboursant leurs dettes, en versant des dividendes aux actionnaires et en investissant dans des navires, équipements ou acquisitions. C’est important car plus les transporteurs font de béné-fices, plus ils devront justifier leur rôle », relevait le consultant britannique.

Réparer la chaîne d’approvisionnement et faire circuler les conteneurs n’est pas réaliste à court terme, semblent penser les transporteurs. Objectivement, aucun analyste ne se hasarderait à envisager un horizon favorable avant de longs mois.

Au contraire, ils ne prévoient pas de normalisation en 2022. L’émergence du variant Omicron leur donne raison. L’année 2022 devrait donc être encore plus profitable. Dire qu’en 2020 on promettait (Drewry) au transport maritime de conteneurs une « triple bastonnade ». La raclée attendra encore un peu.

Adeline Descamps

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