En approuvant ce mardi 26 novembre les aides d'État accordées par les autorités françaises à Corsica Linea et à La Méridionale, les deux compagnies maritimes, qui opèrent la desserte maritime de la corse en délégation de service public (DSP), la commission européenne acte la légitimité du service public maritime subventionné sur la période 2023-2029, ainsi que son principe et son périmètre.
C’est ce qui ressort des conclusions de l’enquête approfondie ouverte par l'autorité européenne de la concurrence en février dernier qui devait s’assurer, outre de la nécessité d’un service public, de « l'existence d'un réel besoin de transport de fret remorqué entre Marseille et les cinq ports corses » dans la mesure où le « marché semblait déjà fournir des services similaires à partir des ports voisins de Marseille ». En l'occurrence celle de la compagnie Corsica Ferries, opérant sous pavillon italien, au départ de Toulon et leader dans le transport de passagers entre la Corse et le continent. L'exécutif européen devait par ailleurs vérifier que les volumes minimaux de fret fixés par les contrats de service public ne soient pas disproportionnés par rapport à la demande.
In fine, Bruxelles juge que le soutien aux deux transporteurs n'est pas de nature à déséquilibrer le marché en leur faveur et au détriment de Corsica Ferries. Et ce, pour plusieurs raisons. Bruxelles estime que les seules « forces du marché ne suffisent pas pour pallier la demande de fret remorqué », l'offre entre Marseille et la Corse étant jugée « irrégulière » et « insuffisante ». Le régulateur reconnait que Marseille n'est substituable aux ports voisins que dans une mesure limitée. Enfin, les volumes fixés par les autorités françaises sur la base des trafics historiques et des prévisions sont en mesure « d’éviter la saturation des navires » et d'assurer « une circulation fluide des marchandises », considère-t-il.
Contentieux avec Corsica Linea
Pour rappel, les deux compagnies maritimes s’étaient vu attribuer en 2022 par l’assemblée de Corse le partage des liaisons entre Marseille et les cinq ports de l’île de Beauté (Ajaccio, Bastia, Porto Vecchio, Ile Rousse et Propriano), pour une enveloppe annuelle de 107 M€ par an soit 853,6 M€ pour l'ensemble de la période. Corsica Linea s’en est arrogée l’essentiel avec 74,5 M€ tandis que la Méridionale (groupe CMA CGM aujourd’hui mais Stef à l'époque), assure la demi-desserte d’Ajaccio et la totalité de Porto Vecchio et perçoit pour cela la somme de 32,5 M€.
L'enquête européenne fait suite à un énième recours porté en justice par Corsica Ferries. La compagnie, aux navires à la lignée jaune, qui dessert la Corse au départ de Toulon, a déposé des recours en justice contre les cinq conventions entrées en vigueur le 1er janvier 2023. Ces dernières années, elle a obtenu à plusieurs reprises gain de cause pour préjudice commercial.
Marseille « comme le port de fret pour la continuité territoriale
Dans un communiqué, Corsica Linea a salué la décision qui « sécurise la continuité territoriale », « fixe un cadre légal stable pour l’avenir du régime de la DSP au départ de Marseille », « nécessaire à l’organisation de la desserte maritime de la Corse » et valide Marseille « comme le port de fret pour la continuité territoriale ». « La reconnaissance de la non-substituabilité du port de Marseille pour une très large partie du transport de fret entérine sa place comme nœud logistique et de chalandise pertinent pour la desserte en fret de la Corse », fait valoir la direction. La société basée à Ajaccio (un million de passagers, 120 000 camions, 380 000 voitures), qui dessert dix ports en lignes régulières avec sa flotte de neuf navires, rappelle que « le transport de passagers ne fait l’objet d’aucune compensation financière publique, à l’exception des convoyeurs et des personnes malades ».
Instabilité juridique
Les enquêtes se suivent et la même question se pose inlassablement à l’endroit de ce système subventionné, dont le fondement a fait l’objet de nombreux rapports et critiques. Ces dernières années, ce dossier au long cours a peiné à trouver sa stabilité juridique, à en juger par les multiples dispositifs transitoires de courte durée mises en œuvre. La Commission européenne n’a pas non plus caché son agacement. A voir si cette décision va permettre de « désamorcer le contentieux avec Corsica Ferries » et faire admettre « les réalités de la Corse à l'administration européenne qui les méconnaît », espérait à l’ouverture de l’enquête François Alfonsi, député européen corse (EELV).
Adeline Descamps