Christophe Castaner et Laurence Borie-Bancel ont été réélus à la présidence et vice-présidence par les membres du conseil de surveillance du Grand port maritime de Marseille Fos (GPMM) réunis en séance plénière le 26 avril. Et cette fois pour une mandature « complète » de cinq ans après une parenthèse de 18 mois ouverte en novembre 2022.
Une élection assez facile dans la mesure où les deux prétendants n’avaient pas de concurrence, convient Christophe Castaner, qui s’exprimait le même jour dans le cadre de la gare maritime de la Major, promise à un nouvel usage en tant qu’écrin temporaire du « Port center », espace d’expositions autour des activités maritimes et portuaires.
Un contexte apaisé
Le contexte est bien différent de celui qui avait accompagné la première élection. L’arrivée de l'ex-ministre de l’Intérieur dans le gouvernement d’Édouard Philippe avait été précédée d’un procès en illégitimité et le « politique » avait été fraîchement accueilli par les personnels portuaires du syndicat général CGT/UGICT et de Fluxel, mais aussi par des acteurs économiques furieux de voir leur échapper cette fonction qui leur en principe réservée.
Le tout se déroulait sur fond de grandes inquiétudes face aux mutations à venir du modèle économique portuaire induites par la transition énergétique et écologique. Après cinquante ans de développement soutenu par les hydrocarbures, les domaines portuaires sont en « pleine révolution », appelés à devenir non seulement des sites d’accueil d’industries bas carbone mais encore des hubs où l’énergie se produit de façon durable.
12 à 14 Md€ d’investissements privés et publics
« J’ai confirmé mes connaissances au sujet du port et j’en ai acquise de nouvelles », analyse rétrospectivement celui qui fut, dans une autre vie, en charge de l’aménagement du territoire puis de l’économie pendant douze ans à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
« L’image que nous avions du port il y a dix-huit mois n’est plus la même. Le port en tant que pilier de la reconquête industrielle a pris toute sa place. Les perspectives que nous avions alors sont en train de se concrétiser », croit savoir le président du GPMM. Et de rappeler les « 12 à 14 Md€ d’investissements privés et publics » (correspondant aux projets identifiés à ce jour sur la zone industrialo-portuaire).
Trois projets-vitrine
Christophe Castaner fait référence aux trois totems de la réindustrialisation du port phocéen, à l’instar de celui porté par la start-up Carbon, qui vise à construire une giga-usine de panneaux photovoltaïques (11 millions d’unités par an) au cœur de la zone industrialo-portuaire (45 ha) et dont le permis de construire a été déposé le 18 avril en mairie de Fos-sur-Mer à l’issue de la phase de concertation préalable. Un projet estimé à 1,6 Md€, susceptible de créer 3 000 emplois industriels directs selon ses promoteurs. L’enquête publique est prévue à l'automne 2024.
Il pense aussi au programme H2V, qui envisage la construction en deux phases de six unités de production d'hydrogène par électrolyse de l'eau, pour une capacité totale de 600 MW et de 84 000 t d'hydrogène bas carbone par an.
L'hydrogène produit doit servir à produire des carburants pour les transports maritime (méthanol) et aérien (SAF). La première phase comprendra une unité de production de méthanol de synthèse, destiné prioritairement au secteur maritime, avec une capacité de 130 à 140 000 t/an. Sa mise en service est prévue pour 2028, et la seconde en 2030. À noter que le port est entré au capital de la société à hauteur de 5 %.
Enfin, GravitHy prévoit la construction d'une usine de production de fer pré-réduit bas carbone (acier vert) d'une capacité de 2 Mt, en utilisant de l'hydrogène obtenu par électrolyse de l'eau sur site. L'installation, dont l'investissement global s'élèverait à 2,2 Md€, projette une mise en service en 2027.
Diète médiatique
L’homme politique dit s’être astreint à une « diète médiatique » sur les sujets nationaux, excepté sur ce qui touche aux enjeux du port, mais il en a néanmoins profité pour placer quelques propos dont la destination n’échappera à personne.
« Au moment où la politique veut ramener les ambitions à son micro-territoire avec l’idée que c’était mieux avant et qu’il faut fermer les frontières au plus près de chez soi pour vivre tranquille », il rappellera qu’il faut travailler sur des « échelles pertinentes ». En l’occurrence, celle du port de Marseille « est nationale avec l’axe Méditerranéen Rhône Saône et européenne avec la connexion fluviale et ferroviaire à l’Allemagne. Il permettra en outre de construire le modèle décarboné avec des modes massifiés ».
« Il y a des choses qui se font », le relaie Laurence Borie-Bancel, qui en tant que présidente de la Compagnie nationale du Rhône, incarne « la nécessaire collaboration entre le port, les fleuves Rhône et Saône et leur hinterland ».
« Nous avons avancé sur la mise en œuvre d’une zone d’échanges à Fos afin de fluidifier le traitement des barges de sorte que le report modal se fasse mieux. Un catalogue du foncier doit sortir dans les prochains jours. Une entreprise qui cherchera à s’installer aura une vision claire de ce qui est disponible sur le port et le long de l’axe. Et on travaille sur le schéma directeur de ce que sera la colonne vertébrale du développement industriel de l’axe. Il nous faut réindustrialiser mais en décarbonant. Cela ouvre tout un champ des possibles », s'enthousiasme la vice-présidente pour qui cette nouvelle mandature sera fondatrice pour la concrétisation de l'axe rhodanien.
Un projet articulé autour de « cinq hubs »
La nouvelle mandature sera aussi celle d’un nouveau grand projet stratégique pour la période 2025-2029, sur lequel le directoire planche actuellement, et qui devra prendre en compte toutes les ambitions (lesquelles ne peuvent plus se limiter à la reconquête de parts de trafics) et toutes les contraintes sociales, sociétales, écologiques… conflits d’usage et autres « réalités des exigences ».
Lors d'une de ses interventions publiques, tout en réaffirmant la nécessité d’avoir une ambition industrielle pour ce territoire, « l'ambassadeur du port », comme il s'auto-désigne, déplorait que l'on puisse s'émouvoir de la désindustrialisation du pays tout en s’opposant assez systématiquement « au fait que les sites industriels, y compris avec leurs interconnexions ferroviaires, puissent passer près de chez soi. »
« Le port de Marseille Fos traverse une période sans précédent de transformations stratégiques majeures, renouvelant les bases du modèle économique. Le futur projet stratégique s’articulera donc autour de cinq hubs, qui seront des moteurs du développement économique », avance Christophe Castaner.
Il est question d'un hub « trafics & logistique » (développement du conteneur et des trafics massifiés et implantation « d’entrepôts logistiques de dimension européenne »), « passagers » (lignes de ferries et de croisière décarbonées), « carburants & énergies » (offre d’avitaillement pour toutes les motorisations et production d’énergie verte sur place pour les activités industrialo-portuaires) ; « industrie » (accompagner les transformations des industries historiques) et « numérique ».
Après les 76 M€ investis en 2023, budget déjà gonflé de 27 % par rapport à 2022, l’établissement portuaire pourra compter sur 118 M€ cette année. La répartition de l’enveloppe commence à traduire ce grand saut vers l’inconnu multi-énergies auquel sont conviés les ports, encore très mono-fossiles, dans un contexte réglementaire de plus en plus strict sur les questions climatiques : 57 millions seront en effet alloués à la décarbonation (+ 79 % par rapport à 2023).
Adeline Descamps
Parmi les cinq personnalités qualifiées, Stéphane Richard et Xavier Giocanti
Le conseil de surveillance du grand port maritime de Marseille, composé des 18 membres, comprend cinq personnalités qualifiées nommées par l'État, cinq représentants de l'État, cinq représentants des collectivités territoriales et trois représentants du personnel de l'établissement.
Parmi les personnalités qualifiées figurent Stéphane Richard, l’ex-PDG d’Orange et Xavier Giocanti, l’artisan des zones franches urbaines (ZFU) et entrepreneur des quartiers Nord, tous deux pressentis avant que Christophe Castaner n'arrive dans le jeu.
Mais l’agenda judiciaire de l’un et l’âge de l’autre avaient invalidé leur candidature. La nomination de l'actuel président du conseil de surveillance avait été précédé d’un long temps de latence au cours duquel le port de Marseille avait été sans tête officielle.
A.D.
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