Les tensions autour de la taxation au tonnage reprennent

Les associations professionnelles représentant les transitaires et commissionnaires, les autorités portuaires et les terminaux européens reviennent à la charge sur les exonérations fiscales accordées dans le cadre de la taxation au tonnage. Bruxelles vient de reconduire ou approuver plusieurs régimes d’aides publiques. 

Il est inhabituel que l’introduction d’un impôt puisse favoriser l’activité d’un secteur économique. La taxe au tonnage fait partie de ces exceptions. Le régime fiscal a été introduit pour la première fois en Grèce en 1957 et adopté ensuite dans de nombreux pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, Taïwan, la Corée du Sud, la Norvège, le Japon, la France et l’Allemagne. Au sein de l’UE, 13 pays offrent aux sociétés actives dans le transport maritime la possibilité de voir leurs impôts calculés non sur la base de leurs bénéfices mais en fonction du tonnage net mondial de la flotte exploitée. Les impôts perçus ne sont ainsi pas soumis aux fluctuations du cours du fret.

La charge contre la politique de soutien public à l’endroit du transport maritime n’est pas nouvelle. Et la taxe au tonnage, comme la forfaitisation de l’impôt sur les sociétés, les aides à la formation et au scrapping (mise à la ferraille), les exonérations de charges patronales… font partie des avantages que d’aucuns estiment indus. A fortiori quand il s’agit de dénoncer le fait que le secteur est largement subventionné alors qu’il prendrait des décisions d’investissement à contre-courant des indicateurs de croissance (gigantisme des navires).

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3 Md€ d’aides par an jugées injustifiées

L’International Transport Forum a publié en septembre dernier un rapport dans lequel il a passé en revue les « 3 Md€ par an » d’aides directes ou indirectes dont bénéficierait le shipping : « nos études ne révèlent pas beaucoup de preuves de l'efficacité », plantent les auteurs de l’étude. Selon l’organisme de l’OCDE, le pourcentage de la flotte mondiale battant pavillon d'un État membre de l'UE aurait reculé. Le nombre de gens de mer domiciliés dans l'UE aurait diminué. Mais l’amélioration des trésoreries des compagnies maritimes aurait permis à certaines d'entre elles de renouveler ou développer leur flotte, pour des commandes qui ont majoritairement profité aux chantiers navals asiatiques, et aurait par ailleurs contribué à la surcapacité, grand mal chronique des transports.

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Régime fiscal élargi

Bruxelles vient de valider à nouveau des aides publiques en faveur du transport maritime de cinq pays de l’UE, Chypre, Danemark, Estonie, Pologne et Suède. La commission européenne a ainsi acté l’introduction d’un régime de taxation au tonnage en Estonie, la prolongation de ce dispositif pour dix ans à Chypre, la mise en œuvre d’exonérations sociales visant les marins en Pologne, ainsi que la prolongation d’un régime similaire au Danemark et en Suède. Elle avait approuvé, il y a quelques mois, la prolongation jusqu'à la fin 2023 de l'aide d'État accordée au secteur maritime italien. Là, le régime fiscal spécial ne sera pas seulement appliqué aux revenus de base d'une compagnie maritime provenant des activités de transport maritime, comme le transport de fret et de passagers, mais également à certains revenus dits auxiliaires. Et c’est ce qui fait réagir les associations défendant les intérêts des transitaires et commissionnaires ainsi que les exploitants de terminaux européens.

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Avantages généreux

La Clecat (European association for forwarding, transport, logistics and customs services) et la Feport (Federation of european private port operators) sont connues pour leur mise en garde régulière contre les effets pervers de l’intégration verticale dans la manutention portuaire (schématiquement, les armateurs qui investissent dans les terminaux) et leur combat contre le régime d’exemption dont bénéficient les transporteurs maritimes réunis en alliances.

« Aujourd'hui, nous exprimons à nouveau notre préoccupation quant à la distorsion de concurrence pour nos membres en donnant des avantages concurrentiels aux compagnies maritimes par le biais de règles généreuses en matière d'aides d'État », indiquent-elles. Et elles l’ont signifié dans un courrier adressé à la commissaire européenne Vestager, demandant une clarification des règles. Elles estiment notamment que la Commission devrait veiller à ce que les services annexes [c'est-à-dire les activités étroitement liées aux opérations de transport maritime, NDLR], qui sont également offerts par d'autres prestataires de supply chain, soient exclus du champ d'application de l'éligibilité à la taxe au tonnage et que les décisions incluant ces dispositions soient modifiées en conséquence.

« Le privilège accordé aux compagnies maritimes, qui leur permet de bénéficier d'un traitement fiscal préférentiel pour leurs activités de manutention de fret, fausse la concurrence entre les terminaux intégrés et indépendants , explique Lamia Kerdjoudj-Belkaid, secrétaire générale de la Feport, dans le communiqué. « Il est désormais évident que les transporteurs verticalement intégrés peuvent bénéficier de régimes fiscaux qui encouragent le transport par le transporteur [transport porte à porte organisé par le transporteur] plutôt que le transport marchand [où le transport porte à porte est organisé par le chargeur ou le transitaire], ce qui n'est évidemment pas acceptable pour nous », ajoute Nicolette van der Jagt, directrice générale de la Clecat.

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Pas de cas avérés de distorsion

L'ECSA, l’association des armateurs européens (European community shipowners' associations), soutient que le système de taxation au tonnage est essentiel pour offrir aux armateurs européens « des conditions de concurrence équitables par rapport aux concurrents non européens, en préservant les emplois ». Les armateurs convient, pour la seconde fois en six mois, la Feport et la Clecat à échanger sur ce point, soulignant que le premier échange « n'a pas permis de mettre sur la table des cas évidents de distorsion de la concurrence. Les rapports sur ce sujet manquent également d'arguments convaincants. Pour l'ECSA, le sujet reste très théorique ».

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Pour éviter toute distorsion de concurrence avec les autres opérateurs de la chaîne logistique, la Feport et Clecat suggère au commissaire européen de suivre les recommandations proposées par le rapport de l'ITF sur les subventions maritimes.

Parmi ces recommandations pour revenir à des objectifs plus « sains », l’organisme de l’OCDE demandait notamment une clarification des objectifs visés (« certains objectifs pourraient être atteints plus efficacement avec des instruments plus ciblés » ; « d’autres ne cadrent pas bien avec la politique de l'UE en matière de décarbonation des transports ») de manière à effectuer une évaluation quantifiée de leur efficacité voire de les assortir à des objectifs et/ou conditionner à des impacts positifs car « la plupart sont accordées avec peu de conditions », assurait le rapport.

Adeline Descamps

 

 

 

 

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