Il ne sera pas contre. « Cela faisait longtemps qu'on n'avait pas eu un dossier d’aménagement. Enfin, le port devient aménageur ». Il ne peut tactiquement pas s’opposer. Le projet « ramène un peu plus Fos-sur-Mer vers une destinée nouvelle, plus verte » après des décennies de pétrochimie-raffinage-sidérurgie « les pieds dans l’eau ». Mais il « faudra nous écouter, nous, les Fosséens », explique le maire PS de Fos-sur-Mer, René Raimondi, encore échaudé par l’expérience des trois éoliennes pilotes de Provence Grand Large flottant à 17 km au large des côtes de Port-Saint-Louis-du-Rhône. Les habitants de sa commune ont perdu des milliers d’hectares avec le déploiement des usines. Il ne faudrait pas aujourd'hui leur amputer des milliers d’hectares marins, signifie-t-il.
Il rappellera, dans le cadre de la présentation du projet Deos (« Développement de l’éolien offshore »), à quelques jours du lancement de la concertation publique qui va s’étaler du 14 octobre au 23 décembre, l’importance de la navigation de plaisance et de la pêche. Et dressera ses lignes rouges : pas question de privatiser des espaces maritimes. Aussi transition énergétique soit-il, « l'éolien flottant devra prendre en compte les pratiques et les populations ». Entrée en matière.
Un hub éolien XXL
« Sur ce dossier, on n'est absolument pas modeste. Nous avons l'ambition d'être un port de référence pour le développement de la filière éolien flottant à l'échelle méditerranéenne, voire européenne », vante Hervé Martel, le directeur général du Grand port maritime de Marseille (GPMM).
Il est question de structurer d’ici 2028 sur les bassins Ouest du port phocéen une filière autour des éléments industriels (flotteurs mâts, nacelles, pales…) et prestations logistiques nécessaires au déploiement des champs d’éoliennes flottantes en Méditerranée. Une base arrière en somme, où les flotteurs, en béton ou en acier, seraient fabriqués et stockés et où les turbines seraient assemblées et testés et préparés pour leur mise en service.
Le projet prévoit également la gestion de la maintenance lourde pendant la durée d’exploitation des parcs jusqu’au démantèlement. Et ce, pour deux segments de marché adressables dans un rayon d’environ 2 000 km. « La construction de flotteurs pourront être exportés vers un autre port ou être stockés en attendant son assemblage in situ », précise le dirigeant. Compte tenu du décalage dans le temps entre la fabrication du flotteur et l’assemblage de l’éolienne, il n’y a en effet pas nécessité absolue à ce que le port de fabrication des flotteurs soit situé à proximité du parc éolien.
Après avoir accueilli le parc pilote de Provence Grand Large, la direction portuaire a dans le viseur le déploiement des parcs de l’appel d’offres n°6 (AO6), dont les lauréats doivent être désignés fin 2024 pour une mise service de deux parcs de 250 MW (14 éoliennes) d’ici 2031. Mais il mise surtout sur le déploiement des parcs commerciaux de plus grande envergure. Le gouvernement français a confirmé vendredi le lancement d'ici fin 2024 du dixième appel d'offres (AO10) qui devrait porter une puissance totale de 8 à 10 GW. La cartographie des futurs parcs sera publiée à cette échéance. Elle devrait tenir compte des remontées de la vaste concertation « La mer en débat », qui s'est déroulé simultanément sur les quatre façades maritimes entre le 20 novembre 2023 et le 26 avril 2024.
Des ambitions sud-méditerranéennes
Mais bien plus, ce sont les perspectives méditerranéennes qui le motive à se lancer dans ce projet d’infrastructures XXL. « L’Italie, l’Espagne, voire la Grèce », pointe sur la carte Hervé Martel.
Les données du marché ne vont pas le contredire. L’Italie cumule 17 GW (soit 940 éoliennes) de demande d’ouverture de champs par des développeurs bien qu'il ait affiché 3 à 5 GW d’objectifs pour 2030 (170 à 280 éoliennes). Le manque d’espace à terre et l’absence de sites appropriés pour l’éolien posé conduisent le pays à se concentrer sur les technologies flottantes.
La feuille de route de l’Espagne, approuvée en décembre 2021, fixe comme objectif une capacité installée jusqu'à 3 GW (170 éoliennes) d'ici 2030. En mer d’Alboran, à l’est de Gibraltar, soit à une distance d’environ 580 nautiques de Marseille, se situent les zones de développement de La Pinta et Nao Victoria de 1 GW chacune (55 éoliennes). L’essentiel de la logistique de ces projets devrait toutefois se faire depuis les ports espagnols, tels que Cadix qui dispose à la fois de fortes capacités de fabrication et d’espaces portuaires encore disponibles.
Le Plan national Énergie et Climat de la Grèce envisage pour sa part 2,1 GW (120 éoliennes) pour le flottant à l’horizon 2030, dans la mer Égée.
Selon Hervé Martel, DG du port de Marseille Fos, il serait possible de fabriquer jusqu'à 50 flotteurs par an dans l'enceinte du port.
550 M€ d'investissement
Pour ce dossier à fort enjeu – l’éolien flottant couvre la totalité du potentiel éolien en Méditerranée –, Marseille-Fos prévoit un investissement « d’un demi-milliard d’euros »*. Il s’agira notamment d’aménager un site de 75 à 80 ha à l’entrée de la darse 2 (en face des terminaux conteneurs, sur les terrains de l’ex-X4L), draguer 40 à 50 ha pour le « parking » temporaire à flot de 14 flotteurs, terrasser, traiter et renforcer les sols, construire les jetées et appontements, aligner 9 000 m de linéaire de quai pour l’approvisionnement des différents composants et assurer la desserte des différentes zones...
L’autorité portuaire estime qu’il serait possible de fabriquer 50 éoliennes par an mais prévoit d’en intégrer que 25. Les superstructures seront dimensionnées pour fabriquer en bord à quai (facilitant le chargement des flotteurs sur une barge semi–submersible) et en simultanée dix flotteurs s’ils sont en béton et cinq s’ils sont en acier.
Pour être au rendez-vous des projets prévus au large des côtes méditerranéennes, les travaux de la nouvelle plateforme dédiée devraient démarrer au deuxième semestre 2026, pour une livraison fin 2028. La concertation porte, elle, sur la construction de ces infrastructures portuaires mais aussi leur exploitation par des acteurs privés.
Une place chère mais à prendre
« Je connais peu d'endroits en Europe où l’on trouve la totalité des prestations nécessaires à cette filière sur un site compact. On est évidemment plus compétitif que si l’on doit faire des bouts ici et là, ce qui est le cas notamment sur la façade atlantique et Manche-mer du Nord, où les ports sont obligés de s'allier, parce qu'aucun d'entre eux peut mettre à disposition 50 ha », explique Hervé Martel. A foriori quand les terrains sont protégés par une digue naturelle comme à Marseille.
Mais l'« obligation de s'allier » est aussi le cas en Méditerranée où Port–La–Nouvelle, seul port à ce jour capable d’offrir des infrastructures portuaires dédiées à la construction de flotteurs ou à l’assemblage d’éoliennes, s'est rapproché de Sète, positionné sur le segment des ancres et lignes. Toutefois, leurs installations ne sont dimensionnées que pour traiter une partie du marché national, nuance Hervé Martel.
« Que ce soit pour la fabrication de ces énormes objets que sont les flotteurs, pour leur stockage avant intégration, pour les outillages nécessaires à l’assemblage des éoliennes ou la réception des composants qui ne seront pas fabriqués ici mais importés…, nous sommes sur des dimensions et volumes absolument hors normes ». Avec le développement à grande échelle de l'éolien de grande puissance, il faudra en effet manipuler des éoliennes de plus de 300 m de hauteur (la hauteur de la Tour Eiffel), sur des flotteurs d'environ 100 m en emprises horizontales.
Des impacts sur les trafics portuaires
Le port pourrait sortir également gagnant du point de vue de ses trafics, le projet supposant l’acheminement de matériaux nécessaires aux flotteurs que la direction portuaire estime autour de 250 000 t de granulats, 100 000 t de ciment, 150 000 t de sable ou 15 000 à 20 000 t d’acier. Et quelle que soit la technologie retenue – Siemens Gamesa ou General Electric par exemple –, les flux seront en provenance du Havre, de Cherbourg et de Saint-Nazaire. « Et si ce sont d'autres entreprises, ça viendra de leurs usines ailleurs en Europe », répond Hervé Martel.
« Dans le cas d’une fabrication en série de flotteurs en béton, la proximité avec le terminal minéralier permet d’envisager des synergies », ajoute-t-il, sachant par ailleurs que le site Eiffage Métal, qui a déjà construit à Fos les flotteurs du projet pilot EFGL, se situe au fond de la Darse 2.
Dans le marché encore immature des flotteurs, la part de composants d’origine locale d’un flotteur béton est bien plus importante et la France dispose d’entreprises de premier rang dans le domaine de la construction béton. A l’inverse, la « fabrication locale » d’un flotteur acier ne comprend en fait que l’assemblage final de gros modules fabriqués dans des pays ou la production est nettement moins chère (Europe de l’Est voire Asie). Deux autres éléments de décision pourraient influencer les choix : d’une part l’évolution de la disponibilité/prix de l’acier dans un marché très demandeur, et d’autre part les émissions de CO2 comparées.
Quels cofinancements ?
En termes de financement, le port est resté discret mais il n’est pas à court de pistes. À ce jour, les cofinancements connus reposent principalement sur l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) prévu par la stratégie d’accélération « Technologies avancées des systèmes énergétiques » du plan d’investissement France 2030 et dans le cadre duquel le GPMM est déjà cofinancé à 50 % sur une assiette d’études amont. Il peut récupérer quelques euros sur l’appel à projets lancé dans la continuité de l’AMI pour lequel des réponses sont attendues avant fin janvier 2025 avec à la clé, une enveloppe de 190 M€ au niveau national.
Le GPMM compte aussi sur le fonds européen pour l’innovation et le futur appel à projets prévu fin 2024. D’autres fonds régionaux sont à l’étude. Le Contrat de Plan État–Région (CPER) pourrait être sollicité. Le Crédit d’impôts pour les investissements dans l’industrie Verte (C3IV) est une option. Si le port de Marseille Fos ne peut pas directement y prétendre, il pourrait indirectement bénéficier dans le cas où une partie des investissements serait portée par une structure majoritairement privée.
Au regard des montants, le projet devra faire l’objet d’une notification à l’Union européenne. À défaut, une partie des financements ou des travaux d’infrastructures pourraient être portés par des acteurs privés ou par des structures mixtes. Dans cette configuration, les travaux portés par le GPMM se limiteraient classiquement à la réalisation des quais, des dragages et des terre–pleins standards.
Quoi qu’il en soit, le port n’aura pas vocation à exploiter en propre les différentes zones. Les activités seront concédées à des entreprises privées ou publiques/privées pour des durées variables.
Un abandon du projet est-il envisagé ?
Cette hypothèse a en effet pour nom de code : option zéro. « L’abandon contraindrait les développeurs à envisager des solutions dans des ports étrangers. En outre, aucun autre port de la zone ne semble se positionner pour accueillir le développement de flotteurs en béton à une échelle industrielle, ce qui conduirait donc à renoncer à cette technologie », peut-on lire dans le dossier du maître d’ouvrage, un pavé de 104 pages intéressant.
Dans ce cas, les éoliennes des futurs parcs français méditerranéens seraient donc pour partie assemblées et maintenues à l’étranger, « laissant échapper toute la valeur ajoutée pour le territoire », déplore le document, s'empressant de sortir les études. Selon l'une d'entre elles, chaque euro investi dans un port pour l’éolien flottant générerait entre 3,4 et 4,3 € de valeur ajoutée pour son territoire.
Avec l’option zéro, le port pourra aussi s’asseoir sur les flux de vracs induits
500 000t/an) et ajourner la création des 1 000 à 1 500 emplois directs estimés.
Sur un plan politique, la France « se retrouvera tributaire d’autres pays pour
déployer et maintenir dans le temps ses parcs éoliens en mer ». Ces « autres pays » qui ont des ambitions élevées en termes d’éolien en mer mais des infrastructures portuaires limitées, soit dit en passant.
Pour l'heure, les débats publics seront sans doute plus pragmatiques, cantonnés à des considérations plus quotidiennes, néanmoins légitimes, quand bien même le port a promis que le projet serait « sans conflits d’usage et en synergie avec les autres activités et terminaux portuaires ».
Adeline Descamps
* 295 M€ pour la zone d’intégration, 161 M€ pour la plateforme des flotteurs et 91 M€ pour le stockage à flot. À l’intérieur de ces trois grands postes, le renforcement des sols et terre-pleins (plus de 200 M€) pèse.
>>> Lire sur ce sujet
Numéro spécial sur les ports en tant que stations-multi-énergies. Dans ce numéro, une enquête sur les ports face aux éoliennes de grande taille.
Pour en savoir davantage sur la concertation publique du projet de plateforme de construction et d'assemblage d'éoliennes flottantes sur la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, cf. site dédié.
Éolien : où en est la France dans ses mises en service et ses appels d'offre ?
D’ores et déjà, plusieurs parcs éoliens en mer commerciaux français ont vu le jour ou sont proches de la mise en service :
- Le parc éolien en mer au large de Saint–Nazaire, d’une puissance de 480 MW est en exploitation depuis fin 2022 ;
- Les parcs éoliens en mer de Saint–Brieuc et de Fécamp, d’une puissance de 496 MW chacun, ont intégralement été mis en service en mai 2024 ;
- Les mises en service des parcs de Courseulles–sur–Mer, Dieppe–Le Tréport et Yeu–Noirmoutier, pour 1,44 GW au total, sont attendues entre 2025 et 2026 ;
- La mise en service du projet situé au large de Dunkerque, d’une puissance de 600 MW est prévue à horizon 2028.
En Méditerranée, les objectifs affichés pour l’éolien en mer sont estimés entre 3 et 4,5 GW pour de nouvelles capacités à installer à horizon 2033 et entre 4 et 7,5 GW à horizon 2050.
Après les sites pilotes de Provence Grand Large Pilote, au large de Fos–sur–Mer et de Port-Saint-Louis-du-Rhône (3 éoliennes de 8,4 MW chacune) mis en service cette année, Éoliennes flottantes du golfe du Lion Pilote, au large de Leucate et du Barcarès (3 éoliennes de 10 MW), prévu pour 2025 et Eolmed au large de Gruissan et Port–la Nouvelle (3 éoliennes de 10 MW chacune), également attendu en 2026, place aux parcs commerciaux.
Un premier appel d'offres (le 6e au niveau national – AO6) a été lancé en 2023 sur deux zones, l’une au large de Narbonne, l’autre au large du golfe de Fos. La désignation des lauréats chargés de construire et d'exploiter chacun des futurs parcs éoliens en mer de 250 MW est prévue d’ici la fin de l’année. Les travaux des deux parcs sont prévus pour 2028, et leur mise en service pour 2031.
En mai 2024, le gouvernement a annoncé le lancement en avril 2025 d’un 9e appel d’offres (AO9) portant sur 4 projets, représentant 2,5 GW, sur des zones déjà identifiées par le biais des débats publics menés entre 2021 et 2022, dont deux projets en Méditerranée (2 x 500 MW en extension des zones de l’AO6). La mise en service de ces parcs est prévue entre 2032 et 2035 selon les projets. Un dizième appel d’offres (AO10) portant sur une capacité de 10 GW doit être lancé début 2026.
A.D.