L'effondrement des cours pétroliers hypothèque le devenir des scrubbers

 

La décision de Stolt-Nielsen de renoncer, « lorsque cela a été possible », à la mise en conformité d’une partie de sa flotte avec des scrubbers a vite été perçue comme un signal. L’écart des prix de plus en plus serré entre les différents types de carburants redistribue les cartes. Alphaliner ne note pas, pour l’heure, de grands mouvements, même après l’inédit plongeon du baril de brut américain en dessous de zéro dollar le 20 avril.​

Quelques heures après l’entrée en vigueur de l’IMO2020 le 1er janvier dernier, le scrubber triomphait sans conteste parmi toutes les technologies offertes aux armateurs pour se mettre en conformité avec la nouvelle réglementation plafonnant la teneur en soufre des carburants.  Le couple scrubbers/HFO dominait en effet largement les décisions de ceux qui avaient alors en temps et en heure respecté les échéances. Les systèmes d’épuration des gaz d’échappement (EGCS, Exhaust Gas Cleaning Systems), qui permettent de consommer un fuel lourd, offraient alors aux transporteurs un net avantage sur le plan des coûts d'exploitation avec un prix moyen du carburant nettement moins cher – de 250 à 300 $/t selon le port de soutage – que son équivalent à faible teneur en soufre (VLSFO). Au 26 décembre, à Rotterdam, le HFO/380 Cst se « touchait » à 291 $/t quand le VLSFO était à 576 $/t et le MDO (gasoil marin) à 597 $/t. 

Ces scrubbers, qui jouent le rôle de pots catalytiques pour les navires en agissant notamment sur les dioxydes de soufre (SOx), avaient tout pour convaincre. Par rapport à une propulsion au GNL par exemple, leur usage présente un capex bien inférieur, ne pose pas de problématique en termes de disponibilité et qualité du carburant et le coût de l’équipement s’est largement démocratisé en à peine deux ans, passant de 8 à 10 M€ l’unité à 3 à 8 M€.

Si l’armateur nippon One – seul transporteur parmi les 10 premiers de la ligne conteneurisée à faire l’impasse totale sur les scrubbers – devait alors s’interroger, MSC, Evergreen et Maersk, qui les ont massivement plébiscités, pouvaient en revanche se féliciter de leur choix technique. Quant aux affréteurs, il se frottaient les mains. Au début de l’année, plusieurs panamax équipés ont été loués à long terme à des taux entre 17 850 et 19 000 $/j alors qu’un tonnage équivalent non équipé se négociait entre 13 000 et 14 000 $/j. Une prime aux scrubbers très nette.

C’était avant le Covid

Or voilà, c’est avant le Covid-19 qui a profondément déstabilisé les marchés et perturbé les règles du jeu. En quelques jours, l’écart de prix entre VLSFO et HFO a fondu comme neige au soleil. Selon les ports, il n’est plus que de 30 à 60 $/t. Le scrubber perd de ce fait beaucoup de ses attraits, d’autant que le VLSFO ne nécessite pas de dépenses d’investissement. Seule son origine, surtout lorsqu'il est créé par le mélange de carburants provenant de diverses compagnies pétrolières de différentes régions du monde, ne plaide pas pour lui. Quelques faits ont été rapportés quant aux dommages causés aux moteurs par l’interaction chimique entre les additifs et les carburants.

La décision de l’opérateur de méthaniers Stolt-Nielsen qui, par mesure d’économie dans le difficile contexte, a annulé sa mise en conformité avec des scrubbers « lorsque cela a été possible » a vite été perçue comme la première d’une série. Ainsi, le transporteur, qui a accusé sa première perte à 20,2 M$ après 64 trimestres consécutifs de bénéfices, a identifié jusqu'à 30 M$ d'économies d'investissement. Ses résultats ont été précisément affectés par l'augmentation des coûts de soute résultant du passage à un carburant à faible teneur en soufre et des retards accusés dans les chantiers navals pour doter sa flotte de scrubbers.

Changements de décision contenus

Pourtant, Alphaliner, dans sa dernière livraison hebdomadaire, ne note pas pour l’heure de retournement majeur de tendance, même après l’inédit plongeon du baril de brut West Texas Intermediate (WTI) en dessous de zéro dollar le 20 avril, à -39 $, le dernier jour de sa cotation pour livraison en mai. Les prix du fuel IFO380 sont désormais à 190 $/t à Singapour et 163 $/t à Rotterdam, tandis que les prix du VLSFO sont respectivement de 262 et 218 $/t.

« Les exploitants de flotte de porte-conteneurs poursuivent leurs programmes de mise en conformité avec des scrubbers malgré la chute spectaculaire des prix du pétrole. Outre les bruts, les prix des bunkers devraient également baisser dans les semaines à venir, car la réduction de la demande des porte-conteneurs affectera le marché en mai », indique Alphaliner. Malgré une réduction très nette de l'écart de prix entre les deux carburants, au moins vingt navires sont entrés en avril dans les chantiers navals pour y être rééquipés, rejoignant ainsi les quelque 35 unités entrées en mars, affirme l’analyste.

Wärtsilä en difficulté

Le groupe technologique finlandais Wärtsilä, un des principaux fabricants des scrubbers, a fait état d'une baisse de 12 % des commandes au cours du premier trimestre pour l’ensemble de ses produits. Les prises de commandes se sont élevées à 1,2 Md€, contre 1,4 Md€ à la même période l'année dernière, tandis que le carnet de commandes à la fin du trimestre s'élevait à 5,7 Md€, soit une baisse de 4 % par rapport à l'année précédente.

Selon son PDG, Jaako Eskola, la baisse des commandes dans le secteur maritime était en grande partie due à la « chute voire l’absence d'investissements » dans les dispositifs d’épuration des gaz, mentionnant les écarts de prix entre les carburants. « Les effets de la pandémie sont de plus en plus manifeste dans l'environnement de la demande de nos marchés. Le segment des croisières en particulier a été sévèrement touché par les mesures prises pour contenir la propagation du virus (...). Le risque d'affaiblissement de l'activité économique a amené les armateurs et les opérateurs à réévaluer leurs plans d'investissement ».

Le nombre total de porte-conteneurs faisant l'objet de réaménagements est néanmoins passé de 119 à 90 unités entre mi-mars et aujourd’hui, mais parce les chantiers navals en Chine, qui détiennent 85 % de ce marché, ont repris le cours normal de leurs activités et éclusent leurs travaux. Selon les dernières données de la Lloyd's List Intelligence en date de février, 2 753 navires, totalisant 328,7 millions de tpl, étaient alors équipés de scrubbers. 

Adeline Descamps

 

 

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