Le transport fluvial de colis lourds représente environ 700 voyages par an, sur le réseau fluvial hexagonal, selon les données de Voies navigables de France (VNF). Le trafic est stable depuis plusieurs années et plus parlant que les 543 900 t recensées en 2022 pour environ 150 millions de tonnes-km (tkm).
Les colis lourds restent un marché de niche caractérisé par un petit nombre de flux réguliers, une grande hétérogénéité des origines et destinations et une diversité de fret, avec des pièces souvent de grande valeur (transformateurs, rotors, vapocraqueurs, tunneliers, tourets de câbles, cuves de brasserie, engins militaires, ponts en acier, voire des charpentes pour Notre-Dame de Paris).
Le trafic hors gabarit et de masse indivisible trouve aisément une place dans les cales des bateaux fluviaux naviguant sur l’ensemble des bassins (Seine, Rhône-Saône, Nord-Pas-de-Calais, Nord-Est, Rhin), qu’ils soient à grand ou à petit gabarit.
À noter cependant que les coils à chaud ne sont pas comptabilisés comme des colis lourds dans les statistiques du transport fluvial, pas plus que les agrégats, sables, graviers, déblais du BTP… qui constituent des vracs « tout-venant ». D’où le slogan de longue date mis en avant par VNF pour les colis lourds sur les voies d’eaux « exceptionnels par la route, ordinaires par la voie d’eau ».
En effet, rien de plus simple, ou presque (à condition tout de même de bien répartir et bien arrimer le chargement à bord, de disposer d’un quai et d’une manutention adaptés), que de transporter dans les cales des pièces qui obligeraient, sur les routes, à démonter des éléments, à aménager des itinéraires et à prévoir des escortes…
Le fluvial s’affranchit de ces contraintes techniques tout comme de certaines autorisations administratives, y compris celles auprès des directions départementales des territoires (DDT) et directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), alors qu’une déclaration est obligatoire pour tous les colis au-dessus de 120 t par la route. Pas besoin non plus d’obtenir l’aval préalable du gestionnaire de l’infrastructure. Ces conditions, ajoutées aux atouts unanimement reconnus – sécurité/sûreté, possibilité de stockage flottant, fiabilité du réseau (non congestionné) –, ont convaincu de longue date EDF, premier « grand » et régulier chargeur de colis lourds sur la voie d’eau en France, mais aussi d’autres grands comptes comme Alstom, General Electric, Schneider, Areva, Prysmian, Liebherr Mining…
Si n’importe quelle cale (certaines sont toutefois renforcées) a la capacité d’accueillir des pièces XXL, certains opérateurs ont fait le choix de construire des unités dédiées. C’est le cas de Rhenus avec Fortitudo, exploité en joint-venture avec Haeger &Schmidt et opérationnel depuis 2019. D’une longueur hors tout de 39,15 m pour une largeur de 5,05 m, il dispose d’une cale de 25 m sur 4,60 m (au lieu des 3,80 m du gabarit Freycinet), ce qui permet de charger des colis plus larges et pesant jusqu’à 300 t, à 1,90 m d’enfoncement. Le bateau a été spécialement conçu pour charger du hors norme sur les canaux à petit gabarit, en France et dans les pays frontaliers. Avec son propre moteur hybride (diesel-hydraulique), il est en outre autonome pour le passage des écluses. Si besoin, la navigation peut aussi se faire avec l’aide d’un pousseur, par exemple, en intégrant Fortitudo à un convoi sur les voies navigables à grand gabarit.
CFT (groupe Sogestran) dispose, pour sa part, de la barge ro-ro Sirocco, notamment utilisée pour des colis destinés à Iter. Le groupe havrais possède aussi l’automoteur Porthos, d’une capacité de chargement de 250 t.
Dans le colis lourd, c’est surtout la manutention qui fait la différence, qu’elle soit verticale avec une capacité de levage entre 25 et 1 000 t (grues, bigues fixes, mobiles ou flottantes, portiques de manutention, voire des bateaux bigués) ou horizontale, selon la technique roulière de la rampe ro-ro.
L’absence d’offres régulières « colis lourds » dans les ports maritimes français handicape la filière, ce qui n’est pas le cas à Anvers ou à Rotterdam, à la culture fluviale.
La stagnation du trafic, selon les années, trouve aussi son explication dans les textes réglementaires. Un passage de l’article 6 de l’arrêté du 4 mai 2006 stipule que le donneur d’ordre ayant recours à la route pour des transports exceptionnels doit s’assurer au préalable – une simple déclaration sur l’honneur suffit –, que le transport ne peut pas être effectué par un moyen de transport autre (fluvial, maritime, aérien ou ferré) que la route.
Dans les faits, cette obligation n’est pas appliquée. Les DDT et Dreal, débordées par les demandes, n’ont pas les moyens de vérifier que les solutions alternatives par le fluvial ont bien été étudiées.
Une réécriture de l’article serait un progrès pour drainer davantage du XXL vers la navigation intérieure. C’est du moins l’un des enseignements tirés d’un groupe de travail créé en 2001, avec pour objet de favoriser le recours à la voie d’eau pour les colis lourds. À son bord, VNF, Haropa, LogiYonne, EDF et Sogestran. À ce stade, il s’est matérialisé par une cartographie recensant des informations opérationnelles (capacités, longueur, poids) sur les quais aptes à traiter ce type de fret. Elle devrait aider les services administratifs à mieux identifier les solutions qui permettraient d’éviter le transport routier.