En fluvial, le transport de colis lourds ou hors gabarit reste une niche, représentant à peine 1 à 2 % des voyages opérés. En 2018, ces transports exceptionnels ont par exemple cumulé 700 000 t sur les 51,7 Mt transportées cette année-là sur les fleuves et canaux français, mais 700 voyages au total et dix à vingt de plus chaque année.
« La filière est caractérisée par le petit nombre de flux réguliers et la grande hétérogénéité des origines et destinations. Il s’agit souvent de pièces de grande valeur », résume Joffrey Guyot, référent colis lourds à la direction du développement de Voies navigables de France (VNF). « Les seuls flux réguliers sont ceux liés à Airbus, sur la Loire et sur la Garonne, qui représentent un tiers des colis. La fin de l’A380 [l’avionneur européen a annoncé en février 2019 qu’il mettra fin à la production de l’A380 en 2021, NDLR] ne met pas en péril sa logistique fluviale puisque les pièces et éléments de l’A350 vont en hériter ». Pour le spécialiste de VNF, le secteur industriel de l’énergie reste celui qui y a de plus en plus recours « avec le renforcement de flux pour le grand export via les ports maritimes. »
Areva exporte notamment des générateurs pour les centrales nucléaires du monde entier depuis Saint-Marcel (face à Chalon-sur-Saône) via Marseille-Fos, à raison de 20 à 30 voyages par an. Les moteurs et turbines de General Electric empruntent la Moselle et le Rhin.
Adaptation des quais
Pour les colis lourds, EDF est un client historique de la voie d’eau en France, en particulier pour convoyer ses transformateurs. En 2019, l’électricien a fait transporter une vingtaine de gros composants par voie fluviale. En novembre dernier, un partenariat a été passé avec VNF, stipulant que « l’unité de logistique et maintenance d’EDF s’engage à étudier systématiquement une solution fluviale et fluviomaritime pour l’ensemble de ses transports. Cet engagement vise notamment à lever les freins à l’utilisation de la voie d’eau pour le transport de ses convois lourds et favoriser les possibilités de transports multimodales notamment pour les sites éloignés du bord à voie d’eau. »
Cette nouvelle orientation de l’entreprise publique n’est pas sans conséquences pour ses fournisseurs. Elle suppose que des quais soient disponibles à chaque extrémité de l’itinéraire, parfois renforcés et/ou adaptés pour recevoir une manutention XXL. L’entreprise Jeumont Electric, qui figure parmi les sous-traitants d’EDF, a rénové en 2019 le quai sur la Sambre dont dispose son usine implantée sur la commune de Jeumont, entre Maubeuge et la frontière belge. Le premier lot est attendu au printemps.
Des automoteurs sur le petit gabarit
Toute barge peut accueillir dans sa cale des colis industriels de grande dimension, dépassant même le gabarit routier habituel. Des unités ont cependant été spécialement aménagées, tel le Porthos de l’armement fluvial havrais Sogestran. L’automoteur de 38 m peut naviguer sur tout le réseau fluvial de petit gabarit. La largeur de cale disponible pour le chargement est de 4,5 m, contre 3,8 m habituellement pour les gabarits Freycinet. Le fond de cale a été renforcé et le navire est ballastable pour pouvoir passer sous les ponts même avec des charges de grande hauteur.
Depuis l’an dernier, le Porthos a un concurrent: le Fortitudo, conçu pour de l’exceptionnel. Construit à Fécamp en 2018, il est exploité par l’armement rhénan Haeger und Schmidt et affrété à long terme par le logisticien Rhenus. L’automoteur de 39 m de long et 5 de large offre une cale de 25 m par 4,6 m de large. Son enfoncement n’est que de 1,9 m lorsqu’il est chargé d’un colis de 310 t.
Des barges roulières sur le grand gabarit
Sur le grand gabarit, des colis lourds circulent sur la Seine ainsi que sur l’estuaire de la Loire, où le Beluga de Sogestran transporte notamment des pièces pour Airbus. Mais c’est le bassin Rhône-Saône qui, doté d’équipements adaptés, voit passer le plus de colis lourds. « Certains convois, par exemple pour le transport de transformateurs depuis le centre de la France, utilisent le petit gabarit jusqu’à Lyon où un transbordement s’opère sur une grande barge à destination de Fos avant exportation maritime », explique Jérôme Dumas, chargé d’affaires colis lourds chez Sogestran.
Sur le Rhône, l’armement fluvial dispose depuis 2014 de la barge Sirocco. Longue de 79 m pour une largeur de 11,4 m et ballastable, elle peut s’échouer sur une rampe à marches. La barge roulière peut être poussée en fluvial ou remorquée en zone maritime. Après ballastage du Sirocco, peut être introduit dans sa cale le Libeccio, un ponton roulier à flaps qui comble sa cale pour que l’ensemble soit à niveau d’un quai haut.
À Fos, Sogestran exploite aussi depuis 2017 le Beluga II, fluviomaritime d’une capacité de 1 800 t conçu pour le transport des éléments destinés au réacteur nucléaire expérimental Iter, mais qui peut aussi servir à bien d’autres transports. Sa largeur de 16 m lui interdit de franchir les écluses du Rhône, mais en fait un outil portuaire et côtier polyvalent. Selon Jérôme Dumas, il s’agit du « chaînon manquant pour certains trafics, pour lesquels il est utilisé en complément d’un gros navire bigué [grue sur navire qui peut soulever des charges de plus de 100 t, NDLR] et peut aussi charger en ro-ro sur un quai. »