L’agenda environnemental, dicté par l’OMI, a accéléré les propositions pour que le transport maritime limite ses émissions polluantes. Le prochain cap est celui de ses gaz à effet de serre générés par son empreinte carbone. Quelles sont les solutions qui retiennent votre attention?
Philippe Pallu de la Barrière: Le premier axe pour économiser beaucoup de carburant est de réduire la vitesse des bateaux. Ce n’est pas compliqué techniquement. Ça l’est beaucoup plus sur un plan économique et logistique.
Une étude européenne, à laquelle a participé le CRAIN, a été menée sur les pétroliers. En faisant abstraction de la variable qu’est le prix du pétrole, on considère que l’optimum est de 10 nœuds. C’est la vitesse cible. Les pétroliers et les vraquiers ont déjà réduit leur vitesse à 13 nœuds. Mais les porte-conteneurs naviguent encore à plus de 20 nœuds. La consommation sur un parcours est proportionnelle à la vitesse. Schématiquement, en réduisant celle-ci par deux, le parcours se fait en deux fois plus de temps, mais avec une consommation deux fois moindre. Ce qui permet aussi de diminuer la consommation, c’est l’utilisation du vent. Cette fois, l’économie que procure la propulsion éolienne est indépendante de la vitesse, parce qu’elle développe toujours la même puissance. Que le navire aille vite ou lentement, la variation de consommation est la même. Selon les routes, l’économie de carburant générée oscille entre 5 et 30 %.
En matière de propulsion éolienne, les propositions se multiplient: avec un cerf-volant, des voiles télécommandées par hydraulique, des ailes articulées…
P. P.: Le plus classique, ce sont les voiles améliorées en forme d’ailes. Mais elles ont deux inconvénients. La technique est difficile à automatiser et ces voiles coûtent cher à fabriquer. Il existe cependant des niches pour ces voiles, notamment sur les paquebots, parce que c’est envisageable techniquement et acceptable par les passagers. Des projets portent sur de petits cargos spécifiquement conçus pour la voile. Ils reviennent plus cher à la construction et à l’entretien. Mais ça permet de « labelliser » le produit transporté « zéro émission ».
Pour les pétroliers, porte-conteneurs, vraquiers, qui sont les principaux émetteurs de gaz à effet de serre, l’affaire est plus compliquée. Pour arriver à une réduction significative de la consommation, il faut non seulement une surface de voile très importante mais aussi manager cette surface. Les solutions doivent prendre peu de place, être automatisées et ne pas coûter cher.
Quelles sont celles qui vous paraissent crédibles pour le transport maritime de fret?
P. P.: Les ailes actives, comme le rotor Flettner, qui utilise l’effet Magnus. On dépense de l’énergie pour que le cylindre tourne afin de produire une forte puissance au mètre carré. Réalisés par un constructeur finlandais, ces rotors naviguent déjà dans le nord de l’Europe. Leur limite, c’est qu’ils n’ont plus de marge de progression aujourd’hui.
L’aile aspirée est un système plus sophistiqué. C’est sur ce dispositif que travaille le CRAIN. Des turbines sont placées à l’intérieur d’ailes en acier. Ces ventilateurs aspirent l’air et créent ainsi des dépressions sur des parties de l’aile, ce qui multiplie par quatre la puissance qu’elle génère. Les ailes étant en acier, donc pesantes, le principe est intéressant pour des navires lourds. Il utilise de l’énergie pour faire tourner les turbines de l’aile mais en fait économiser bien davantage qu’il n’en consomme. Étudié dans les année 1980, il a été conçu par des Français, Malavard et Charrier, et essayé sur l’Alcyone du commandant Cousteau. Nous avons construit notre prototype et déposé les brevets. Il a été testé. Reste à trouver l’industriel pour construire une aile de 27 m afin de valider la partie industrielle et les essais sur les navires. Nous sommes en contact avec des clients finaux. C’est un projet dont la finalisation est à un horizon de deux ans.
Quels sont les principaux freins à l’utilisation de ces nouvelles techniques?
P. P.: Sur les systèmes comme l’aile aspirée ou le rotor, il n’y a pas de problème réglementaire. En revanche, le facteur humain en est un. Les navigants devront s’approprier cette culture. L’autre point est le routage des navires. Associé aux bénéfices de la voile, le routage augmente l’économie de carburant qui peut alors atteindre 50 %. Depuis la terre, il faudrait que l’équipage suive les indications données. Mais l’idéal serait un routage à bord. Sur le plan économique, ces techniques sont très intéressantes. Les systèmes actifs matures tels que le rotor Flettner et l’aile aspirée fournissent un retour sur investissement direct par l’économie sur le carburant et la valorisation financière de la réduction d’émission de CO2. La durée d’amortissement des propulseurs éoliens, qui dépend donc de la route, du prix du fuel et du carbone, est déjà inférieure à dix ans avec les paramètres actuels.
Le CRAIN a travaillé sur l’aérodynamisme des voiliers, notamment ceux concourant pour la Coupe de l’America. Existe-t-il aussi des marges de progrès sur les navires marchands?
P. P.: Ils résident dans la propulsion des navires. Sur les coques, il est possible de réduire leur friction dans l’eau par l’émission de bulles. Par des ouvertures dans le fond de la coque, on souffle de l’air. Les bulles forment une interface, un tapis d’air en somme, qui réduit l’impact de l’eau. Cette technique consomme de l’énergie mais en fait gagner bien davantage. Quant à modifier le design des coques, l’industrie n’est pas prête.
En revanche, l’arrière des bateaux a déjà été beaucoup optimisé. Les rendements d’hélice sont impressionnants, et il est encore possible de les améliorer. Certaines entreprises travaillent sur de nouveaux systèmes qui produisent un mouvement de godille, avec un rendement supérieur aux hélices conventionnelles. D’autres travaillent sur l’aérodynamique des navires, la timonerie, afin de réduire le fardage.
Au niveau des carburants, l’on évoque également bien d’autres pistes que le GNL: le méthanol, l’éthanol, l’ammoniac, les biocarburants, l’hydrogène, les piles à combustible…
P. P.: Le GNL est certes intéressant pour les dioxydes de soufre et oxydes d’azote mais n’a aucune incidence sur le CO2. Des moteurs dual fuel avec un mélange hydrogène-gasoil sont à l’étude. Mais il faut encore attendre que la technologie hydrogène mature. On peut imaginer des bateaux utilisant des piles à combustible qui transforment l’hydrogène en électricité. Mais pour l’instant, à puissances délivrées égales, l’hydrogène exige des moyens de stockage spécifiques pour le comprimer. Quant au solaire, même avec un navire recouvert de panneaux, le gain est dérisoire.
Le secteur spatial travaille sur une centrale solaire satellisée qui produira une énergie conduite par faisceaux lasers. C’est encore de la science-fiction mais des chercheurs s’y penchent.