Arctique : Une zone d’intérêts multiples

 

Gisements de ressources pétrolières, minières et halieutiques, l’arctique coalisent de nombreux intérêts et pour les mêmes raisons, alimentent toutes les inquiétudes. L’autre grande raison pour laquelle elle concentre autant d’attention est celle du transport maritime.

Située à mi-chemin de l’Europe et du continent nord-américain, à la convergence des océans Atlantique et Pacifique, ce territoire, grand comme 38 fois la France mais d’un peu moins de 5 millions d’habitants, cristallise depuis plusieurs années les intérêts. En témoigne l’existence de plusieurs rendez-vous devenus annuels, courus par toute la planète, tel « Arctic Frontiers » où se croisent plus de 1 500 représentants de la communauté scientifique et des milieux économiques d’une trentaine de pays. Mais aussi le Forum sur l’Arctique, qui s’est tenu cette année à Arkhangelsk, grand port sur la côte russe, où s’est notamment fait remarquer une importante délégation chinoise. L’arctique a tout pour intéresser (et inquiéter les ONG). La région serait riche de 15 % des réserves mondiales de pétrole et 30 % du total mondial de gaz. Sans compter ses ressources halieutiques et minières – or, diamants, étain, plomb, zinc, nickel, fer, uranium –, ces minerais qui précisément jouent un rôle nodal dans les industries de haute valeur ajoutée. Dans un contexte où sont chroniquement évoqués le tarissement des énergies et le besoin dit « vital » de renouveler les réserves, a fortiori pour la Russie où les ressources en hydrocarbures au Sud et au Sud-Ouest s’épuisent, l’Arctique est l’une des rares « nouvelles frontières » où les compagnies pétrolières espèrent effectuer des découvertes majeures.

L’autre grande raison pour laquelle la région concentre autant d’attention – a fortiori des pays aux premières loges, la Russie le long de la façade sibérienne à l’Est et le Canada le long de ses côtes à l’Ouest –, est celle du transport maritime.

La fonte accéléré des glaces polaires en raison du réchauffement climatique ouvre de nouvelles voies entre l’Europe, l’Extrême-Orient et l’Amérique du Nord. Fantasmé ou pas, cet océan de 13 millions de km2, recouvert par une couche de glace dont l’épaisseur et l’étendue varient, permettrait de rallier l’Europe du Nord et l’Asie par un raccourci maritime de 6 000 km, soit un gain de 18 à 20 jours par rapport au passage par le canal de Suez et Malacca. Mais faisabilité technique et praticabilité commerciale ne sont pas automatiques.

Huit nœuds portuaires

Manifestement, la Russie, certes la mieux placée pour profiter de la navigation arctique (l’exploitation des ressources a d’ailleurs été le principal moteur des investissements russes pour y ouvrir la navigation en été comme en hiver), espère tirer profit du développement du transit international. Elle s’en donne les moyens, en tissant un véritable système portuaire sur sa façade arctique, avec construction de ports « Greenfield » et modernisation des infrastructures existantes. Actuellement, seuls huit ports sont libres de glaces toute l’année, les autres ne sont utilisables que de juillet à octobre. Aucun des ports russes longeant les côtes sibériennes n’a toutefois atteint un jour la pleine capacité, à l’exception de Mourmansk, terminal pétrolier d’exportation majeur dans l’Arctique pour alimenter la Sibérie à travers les fleuves (Ob, Ienisseï, Lena), de Petropavlovsk-Kamtchatski et de Doudinka (rive droite de l’Ienisseï).

Un projet de loi arctique russe prévoit de s’appuyer sur quelques noeuds portuaires – Mourmansk, Arkhangelsk, Doudinka, Petropavlovsk, Magadan, Vanino, Nakhodka et Vladivostok – pour lesquels Moscou a ouvert les vannes aux investissements privés.

Ainsi, le nouveau port arctique de Sabetta, qui a mobilisé 1,4 Md€ d’investissement, est le point nodal du projet « Yamal LNG » dans lequel le groupe français Total détient 20 % aux côtés de deux groupes chinois, à 29,9 %. Une voie de chemin de fer est par ailleurs en cours de construction entre Sabetta et Bovanenkovo (riche en réserves de gaz) financée par le groupe russe Transstroy moyennant un chèque de 1,63 Md€. Le ministère des Transports russe estime que lorsque Sabetta sera relié, dans quelques années, au réseau ferroviaire russe via Bovanenkovo-Sabetta et par la voie ferrée Nord (un projet de 4,3 Md€), près de 70 Mt de marchandises pourront être transbordées dans le port.

Pavillon russe

Le gouvernement de l’oblast d’Arkhangelsk propose quant à lui une dizaine de projets, dont la construction d’une partie du port en eaux profondes d’Arkhangelsk, ou encore la construction d’une voie ferroviaire « Mer blanche-Komi-Oural » dans laquelle les Chinois ont apporté des capitaux.

La république de Sakha envisage pour sa part l’établissement d’une liaison ferrée « Berkakit-Tommot-Nizhny Bestyakh », la modernisation du port Tiksi (capacité de 300 000 t/an) et des chantiers navals.

Les transporteurs maritimes russes – à l’instar de Nornickel, Novatek, Gazprom Neft – sont invités à étoffer leur flotte. Les porte-conteneurs de Nornickel entretiennent déjà des connexions régulières entre les ports de Mourmansk, d’Arkhangelsk, de Doudinka vers les ports européens comme Rotterdam et Hambourg, ainsi qu’en Asie avec Busan et Shanghai. Novatek a commandé une flotte de 15 supertankers.

Parallèlement, le gouvernement russe envisage de limiter le transport de pétrole et de minerais aux seuls pavillons russes. C’est en tout cas le sens d’une loi qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2019.

« D’une part, il ne s’agit que de la route maritime du Nord, et non de l’ensemble du PNE, et par ailleurs, cela ne concerne que les tankers », modère Mikaa Mered, spécialiste de l’Arctique (cf. notre entretien, plus loin), qui y voit une réaction à un mauvais retour d’expérience. « Pour le projet GNL de Yamal (16,5 Mt de GNL à partir de 2019, ndlr), 15 méthaniers brise-glaces de 173 000 m3 ont été commandés mais la majorité ont échappé aux chantiers russes et sont en outre armés par des étrangers, en particulier d’Asie et de Grèce. Avec cette loi, le gouvernement russe veut inciter les porteurs de projets arctiques à faire construire localement et ainsi, à faciliter l’insertion des armateurs russes sur ces nouveaux marchés ». Cette loi pourrait toutefois être contraignante pour les méthaniers construits aux fins des futurs projets de GNL, Arctic LNG 2 et 3.

« Route polaire de la Soie »

Ne disposant pas de côtes bordant l’Arctique, contrairement à la Russie, au Canada, aux États-Unis (avec l’Alaska), au Danemark (avec le Groenland), à l’Islande et à la Norvège, le pôle nord ne laisse pas de glace la Chine, qui a d’ailleurs obtenu en 2013 le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique, l’organe principal de dialogue intergouvernemental entre États-riverains.

C’est en janvier que la Chine a présenté une déclinaison polaire de ses « nouvelles Routes de la soie », tentaculaire projet d’infrastructures entre la Chine, l’Afrique et l’Europe. Dans le cadre de ce nouveau programme présenté dans un livre blanc, les entreprises sont incitées à construire des infrastructures et à tester des parcours.

L’Institut des recherches arctiques de Chine estime que d’ici 2020, de 5 à 15 % du commerce international chinois passeront par les côtes arctiques russes.

La Chine soigne donc, par opportunisme, ses relations à la fois avec les pays scandinaves et le grand voisin russe. Le rapprochement de Moscou et de Pékin, dans un contexte d’animosité entre la Chine et les États-Unis ainsi que l’influence grandissante de la Chine dans l’Arctique, inquiètent d’ailleurs la communauté internationale.

Les tensions « internationales » naissent aussi du caractère mal défini de la voie d’eau, entre eau intérieure et détroit international. Les États-Unis estiment qu’il s’agit d’un couloir navigable international. Ainsi Washington conteste-t-il historiquement la revendication territoriale du Canada pour le Passage Nord-Ouest (PNO) que ce dernier considère comme ses eaux intérieures selon la classification issue de la Convention de Montego Bay (droit de la mer) tout en justifiant sa souveraineté par les risques environnementaux que lui ferait courir une navigation accrue.

« La Russie et le Canada sont les seuls États à estimer que les Passages Nord-Ouest et Nord-Est (PNO et PNE) ne sont pas des détroits internationaux au sens de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Mais la Russie n’empêche aucun navire marchand de naviguer sur le PNE, tant qu’ils se conforment aux réglementations russes. De même pour le Canada. L’enjeu ici est surtout militaire et sécuritaire, pas marchand », réplique Mikaa Mered. Pour le consultant, il n’y a pas non plus de contentieux majeurs en termes de revendications territoriales des pays riverains. « La Norvège et la Russie ont soldé leur différend territorial maritime en mer de Barents avec un accord de partage en 2010. La Russie et les États-Unis entretiennent un gentlemen’s agreement depuis 1991, sur la base duquel Moscou et Washington ont pu concevoir un accord de partage de navigation dans le détroit de Béring, accord présenté à l’OMI cette année ». Il ne subsisterait, selon lui, à ce jour que deux litiges, l’un relatif au statut effectif de la zone économique exclusive de l’archipel du Svalbard (que Moscou et Bruxelles contestent à la Norvège) et l’autre au sujet de l’île de Hans (que le Danemark et le Canada se disputent). « Mais les deux pays ont créé en mai 2018 un groupe de travail commun afin de convenir d’un accord de partage ».

Et non, Moscou ne fait pas régner en Arctique une certaine loi. « Le gouvernement russe applique ses lois sur son territoire terrestre et maritime, conformément au droit international ».

Adeline Descamps

Enquête

Archives

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15