Nous vivons une époque résolument moderne… Que les acteurs du monde portuaire et maritime considèrent l’ère de l’hyper-connecté comme risquée, effrayante, coûteuse… ils sont tous condamnés à monter dans le bateau. Les assureurs aussi.
« De tous temps, les assureurs se sont adaptés à l’émergence de nouveaux risques. Il n’y a jamais eu d’abandon de couvertures. Cette fois encore, face aux risques de type cyber, ils feront le job parce que c’est leur métier et parce que, accessoirement, personne d’autre ne peut le faire! », réagit Patrice Gilbert, directeur général du Cesam (cf entretien p. 34).
À une conjoncture en pointillés (cf. p 32) viennent se greffer des défis liés à l’émergence de risques nouveaux qui rendent « difficiles la construction de modèles de prévision des risques », explique-t-il. Dans le premier baromètre des risques émergents susceptibles d’impacter le secteur de l’assurance et de la réassurance en France que la FFA a présenté en février dernier, le risque cyber ressort en effet comme la menace la plus prégnante. Tout comme la disruption engendrée par de nouvelles technologies telle la blockchain, les plateformes ou l’intelligence artificielle (cf. p. 38). Sans parler de l’arrivée d’un autre candidat aux risques, si hypothétique soit-il: le navire autonome. Quoi qu’il en soit, l’accélération des progrès technologiques laisse peu de temps aux professionnels de s’y préparer…
Un secteur bien servi
Aléas climatiques, virtuels ou réels, les risques débordent donc le secteur de toutes parts. Plus tout à fait nouveau mais pas encore un souvenir ancien, les actes de piraterie demeurent une préoccupation constante à certains endroits du globe, désormais bien identifiés. Si leur nombre a été le plus faible depuis 20 ans en 2016 – 191 actes de piraterie comptabilisés par le Bureau maritime international (BMI) –, le nombre de kidnapping est passé de 19 à 62 entre 2015 et 2016.
Plus ou moins un risque, le gigantisme des navires interroge toutefois (cf.p. 26). Plus ou moins car si « la flotte mondiale (en nombre et en tonnage) ne cesse de grossir, pour autant depuis une décennie, on observe une diminution flagrante de 45 % de pertes totales des navires, en raison sans doute d’un rajeunissement de la flotte mondiale, d’une meilleure formation des gens de mer et des campagnes de contrôle plus intensives par les États du port », modèrent les auteurs d’une étude produite par l’Isemar (Institut supérieur d’économie maritime) sur l’assurance maritime.
Toutefois, selon l’IUMI, les sinistres de grande ampleur, faibles en nombre mais d’un fort impact financier, ont tendance à augmenter ces dernières années. En causes: des mauvaises conditions climatiques (typiques de l’émergence des risques nouveaux), des échouages et le risque de départ de feu et d’explosion.
Le naufrage du Costa-Concordia (32 morts et 157 blessés) en 2012 a, à cet égard, bien marqué les esprits avec son addition partiellement soldée. En 2015, les assurances avaient déjà déboursé près de 2 Md€, sans prendre en compte une décision judiciaire qui reconnaîtrait les dégâts écologiques causés à l’environnement naturel de l’île du Giglio.
Effet XXL
La taille XXL des places portuaires n’est pas non plus sans risques. Les deux explosions en août 2015 sur le quatrième port chinois de Tianjin (165 morts, 800 blessés et 8 disparus), qui a touché selon la commission d’enquête chinoise 12 428 voitures et 7 533 conteneurs, a imprimé les rétines. Elle reste à ce jour comme la plus grande perte de l’Histoire sur le marché des marchandises transportées avec une facture estimée entre 3 et 3,5 Md$, créant en outre une certaine tension avec un assèchement progressif des capacités d’assurance et de réassurance, notamment pour les parcs automobiles.
Le sinistre a surtout mis en lumière l’ampleur du cumul des stocks en un seul lieu. Selon l’IUMI, la valeur du fret peut par exemple atteindre 1,6 Md$ par jour à Shanghai.
Le prix à payer pour le progrès?
Désormais, les risques seraient aussi ailleurs. Il faut composer avec les aléas climatiques exceptionnels. Selon l’Isemar, 45 % des navires déclarés en perte totale entre 2011 et 2015 l’ont été en raison des mauvaises conditions climatiques. Aussi, la couverture géographique des risques a tendance à s’élargir. La fonte des glaces et l’ouverture « saisonnière » des routes du Nord-Est et du Nord-Ouest, que peuvent désormais emprunter les navires, n’est pas sans effets. En 2015, 71 accidents y ont été recensés, soit 29 % de plus qu’en 2014. Le syndicat d’assureurs Lloyd’s n’a d’ailleurs pas hésité à imposer une surprime de 15 % pour assurer la couverture du navire naviguant à certaines périodes dans la zone subarctique de la baie d’Hudson, indique l’Isemar.
Enfin, il existe une autre piraterie, plus insidieuse et sournoise: celle du piratage des systèmes d’information, qui régalent les hackers. L’usage croissant des technologies numériques aux vertus de traçabilité de la marchandise, du navire et d’optimisation de la chaîne d’approvisionnement, engendrera son lot d’actes à dé-risquer (détournements en tout genre, black-out de places portuaires…).
Les conséquences de tels actes malveillants ont pu être entraperçus en 2017 avec la mésaventure vécue par le géant danois des transports maritimes Maersk victime de l’intrusion de NotPetya qui lui a coûté 300 M$ en pertes d’exploitation et de revenus et une dizaine de jours pour réinstaller des systèmes à bord des navires.
Les risques cyber font aujourd’hui partie des clauses d’exclusion dans les polices d’assurance mais des études seraient en cours afin de délivrer des garanties spécifiques. Seront-ils « confiés » à la Caisse centrale de réassurance (CCR Re) dont la particularité est de proposer, avec la garantie de l’État, des couvertures illimitées pour des risques exceptionnels, et de fait comptabilisés comme des risques un peu particuliers?