Le transport maritime, une activité officiellement dangereuse

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On s’en doutait bien un peu, les gaz d’échappement des navires ne sont sans doute pas totalement inoffensifs. Mais les scientifiques ou les médecins de la deuxième puissance maritime mondiale ne s’y sont guère intéressés. Les docteurs Jegarden et Lucas ont donc compilé les 58 articles parus entre 1990 et 2016, dans 27 revues scientifiques internationales. Les résultats des recherches ont été classés en trois catégories:

– composition physico-chimique des fumées d’échappement;

– impact de ces fumées sur les océans, la planète et sur les ports;

– risques pour la santé humaine.

Outre le CO2, le CO, les NOx et les fortes concentrations de SOx, bien connus, il a été noté la présence de particules fines (PM10, et 2,5) ainsi qu’ultra-fines (PM 0,1). Celles-ci sont constituées d’une part de différents métaux (Vanadium, Fe, Pb, Fe et C) ainsi que de leurs sels insolubles. Et d’autre part, de composés organiques volatils plus ou moins critiques.

La nature du combustible utilisé influence la composition des gaz d’échappement. Ainsi le fuel lourd est-il « très riche » en particules ultra-fines avec de hautes concentrations en métaux « toxiques ». Le diesel est riche en particules de carbone et organiques.

Bien évidemment, la composition des gaz d’échappement varie selon la taille du navire, la forme et la propreté de sa carène, l’âge de sa machine et les divers systèmes de filtration des fumées. La zone de navigation n’a pas été citée alors que, si le navire évolue ou non en zone Seca, la présence de SOx est plus ou moins forte.

Selon l’OMI, le trafic maritime international représente 2,4 % des émissions globales de gaz à effet de serre (ceux qui n’ont tué à ce jour personne). Les émissions de particules fines par les navires (entre 1,2 et 1,6 mégatonne) représentent 20 % à 30 % des particules atmosphériques inorganiques existantes en zones côtières. Les émissions de CO2 par les navires sont quasi équivalentes à celles du trafic automobile mondial. Entre 700 Mt et 1 000 Mt par an. Cela a des conséquences « importantes » sur la troposphère. Les émissions du CFC et HCFC (gaz à effet de serre) sont estimées à respectivement 9 000 t et 30 800 t.

Une étude italienne a montré que l’air provenant de la zone portuaire était plus riche en HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques, fortement toxiques) que l’air provenant des autres directions, surtout en phénanthrène et fluorène qui sont plus abondants dans les fumées de navires que dans celles rejetées par l’industrie. Une étude écossaise conclut que la concentration en PM est également corrélée avec la direction du vent.

53 400 morts en 2020

Tous ces produits diffusés dans l’atmosphère ne peuvent pas être favorables à une bonne santé. La synthèse des études est édifiante et devrait émouvoir le ministère français de la Santé. L’impact de la pollution aérienne des navires sur la santé humaine parait, « selon plusieurs études, non négligeable ». En Europe, 49 500 morts en 2000 ont été estimés liés aux émissions des fumées de navires, et le nombre de décès est estimé à 53 400 en 2020. La concentration en particules fines et ultrafines « serait la cause principale » de cette mortalité. Les PM 2,5 provoqueraient une augmentation du risque cardiaque et des cancers de poumon, rappellent les docteurs Jegarden et Lucas. « Il existe en effet une corrélation nette entre la mortalité cardio-vasculaire et celle par cancers du poumon et les zones portuaires ou à fort trafic maritime, notamment en Asie et en Europe. Certains auteurs estiment que 3 % à 8 % de la mortalité dans ces zones sont attribuables aux émissions de navires. D’autres études incriminent dans la pathologie cardio-vasculaire les émissions de nickel et de vanadium retrouvées dans les PM 10. »

En conclusion, « il est donc important de tout mettre en œuvre pour réduire ces émissions ». Ce qui est totalement en dehors du champ d’actions des médecins des gens de mer dont la principale fonction est de délivrer ou non le certificat annuel d’aptitude médicale au métier de marin à la pêche ou au commerce.

Protéger les mécaniciens et les portuaires

Par contre, il est grandement temps d’étudier rapidement le niveau d’exposition aux gaz d’échappement des mécaniciens à la pêche et au commerce afin d’éviter d’éventuelles surmortalités. En effet, des témoignages privés laissent comprendre que les fuites de gaz d’échappement sont fréquentes à bord des navires de pêche et de commerce. Dans la même idée, les niveaux d’exposition des populations côtières et portuaires sont à analyser rapidement, si ce n’est déjà fait, à proximité des ports maritimes.

Début septembre, le nouveau président de la Chambre maritime internationale (CMI/ISC) a invité ses membres à faire tout ce qui est possible pour arriver au « zéro accident » et « zéro pollution » (voir JMM du 9 septembre, p. 6). Il ne faudrait pas oublier la « zéro surmortalité ».

Dans son discours d’inauguration, Thierry Coquil, récent directeur des Affaires maritimes, a souligné que la santé des marins est un enjeu « majeur » car ces derniers constituent une ressource humaine mobilisable pour la défense nationale d’une part, et essentielle à la bonne conduite du navire, donc à la sécurité maritime, d’autre part.

La pollution générée par les navires devrait prochainement être prise en compte de façon « plus importante ». L’émotion récente suscitée par les conséquences atmosphériques de la concentration de paquebots à Marseille pousse à la réflexion. « Même si demain le transport maritime coûtait deux fois plus cher parce que l’on aurait ajouté tout un ensemble de dispositifs de filtration des gaz d’échappement, cela ne remettra pas en cause le modèle du transport maritime. Il n’y a pas de risque à ce que le transport maritime se verdisse, pour dire les choses un peu simplement. Nous menons ce combat, à l’OMI », mais il existe des oppositions, a conclu Thierry Coquil.

Protéger les manutentionnaires

Les constatations allemandes et néerlandaises portant sur la dangerosité des conteneurs qui ont été fumigés puis mal ventilés et mal étiquetés percolent lentement dans le système français de santé des salariés. Ainsi, une représentante de l’Institut national de la recherche et de sécurité (INRS) a-t-elle présenté « l’état des connaissances et les préconisations » de son établissement. En bref, les connaissances sont celles qui ont été présentées en novembre 2014 lors d’un colloque organisé par la CGT portant précisément sur les dangers mortels pour certains salariés que représentent les gaz de fumigation présents dans les conteneurs arrivant d’Asie et d’Amérique du Sud (voir JMM du 28/11/2014, pp. 16 et 17).

À Hambourg et à Rotterdam, les morts et les blessés graves (troubles neurologiques permanents) à la suite d’ouvertures de conteneurs sans précaution sont constatés à partir de 2007. Les évaluations médicales sont menées et le professeur Bauer, chef du service de santé au Travail à l’Université de la Charité à Berlin, en devient le grand spécialiste européen. Il faut attendre 2010 pour que la CGT des Douanes et la FNPD (dockers) commencent à tirer la sonnette d’alarme. Celle-ci est entendue par le ministère du Travail en janvier 2013 à la suite d’un article du Monde. Le rapport de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail de 2011 n’avait pas suffi.

Le système français de santé des salariés se met au travail: en mai 2015 paraît la circulaire relative à la prévention et à la protection des travailleurs contre les risques chimiques dans les conteneurs et autres contenants de marchandises. Courant octobre 2016 sortira la brochure INRS ED 6249 Ouvrir et dépoter un conteneur en sécurité. Le 14 octobre au Havre et le 21 octobre à Marseille seront organisées des réunions d’information pour « prévenir le risque chimique lié à l’ouverture des conteneurs » (www.inrs-conteneurs2016.fr/).

Début 2017, l’INRS commencera une étude sur «  L’évaluation de l’exposition des opérateurs chargés du dépotage des conteneurs maritimes — Outils de diagnostic de la dangerosité de l’atmosphère intérieure d’un conteneur et de l’efficacité de la ventilation forcée d’un conteneur ».

Cependant deux problèmes ne semblent pas, à ce jour, être abordés. L’un concerne le niveau de prise de conscience des gestionnaires d’entrepôts situés loin des ports et recevant directement des conteneurs import. Est-on raisonnablement assuré que toutes les précautions sont prises pour protéger des salariés chargés du dépotage souvent intérimaires et peu ou mal suivis médicalement? L’autre concerne la santé publique. En effet, outre les gaz de fumigation qui peuvent être absorbés par la marchandise, celle-ci peut « naturellement » relarguer des solvants utilisés lors de sa fabrication. Ces substances, plus ou moins cancérigènes, peuvent donc se diffuser au domicile des acheteurs. Aux Pays-Bas, 1 300 matelas ont relargué du solvant cancérogène, a signalé le docteur Lucas, médecin du travail à Brest, lors du colloque de novembre 2014.

Enfin, les effets délétères des cocktails gazeux (gaz de fumigation et solvants de fabrication) ne semblent toujours pas faire l’objet d’études.

Rappelons que les médecins allemands se sont heurtés à une véritable impossibilité de suivre sur le long terme les concentrations de gaz de fumigation introduits dans des conteneurs contenant des feux d’artifice chinois. Au bout de quelques semaines, ces boîtes n’étaient plus déchargées à Hambourg, tout en continuant d’arriver en Allemagne via un port où le suivi sanitaire était plus accommodant.

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