L’objectif visé par la Commission est de vérifier que ces exonérations ne sont pas des aides d’État et qu’elles n’affectent pas la concurrence entre les ports (voir JMM du 22/7, p. 12). Dans diverses études, la Commission reconnaît la grande diversité des situations dans les ports. Notamment dans le livre vert relatif aux ports et aux infrastructures maritimes publié en 1997, elle affirmait l’inutilité d’harmoniser le statut des ports.
Ainsi que l’a estimé la Cour de Justice à propos des dockers belges, ces professionnels de la manutention ne sont pas soumis au droit de la concurrence car ils ne constituent pas une entreprise. Ainsi, le droit de la concurrence ne s’applique qu’aux entreprises. Selon la Cour, « la notion d’entreprise désigne toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement ».
Au regard de la directive relative au système commun de TVA, la notion d’activité économique doit s’entendre « comme englobant toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, et notamment les opérations comportant l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence ».
Cependant, pour la jurisprudence de la Cour, certaines activités de prestations de services échappent au droit de la concurrence, c’est le cas de la surveillance du chargement ou du déchargement des navires à un terminal pétrolier ou la réalisation d’opérations de contrôle aérien; ces prestations n’étant pas considérées comme des activités économiques.
À propos de l’exercice du lamanage portuaire, la Cour de Justice a jugé que les entreprises chargées d’un service d’intérêt économique général « ne sont soumises aux règles de concurrence du traité que dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ». Elle a qualifié cette activité à la fois de service d’intérêt économique général et de service universel.
En raison de leur nature juridique, des activités exercées par une entreprise sont donc susceptibles d’échapper au droit de la concurrence.
Une comparaison difficile à établir
S’agissant de l’exploitation des ports, la Cour considère qu’elle ne relève pas nécessairement de la gestion d’un service d’intérêt économique général. Dans ces conditions, comment peut-on comparer, au regard du droit fiscal, des ports se trouvant dans un contexte juridique, géographique et économique différent?
L’Union européenne n’impose pas de règles communes pour l’assujettissement des entreprises à l’impôt sur les sociétés, ni un taux uniforme. On ne peut s’empêcher d’établir un rapprochement avec l’application d’une fiscalité attractive de certains États qui ne suscite pas d’interrogations de la part de la Commission quant à la compatibilité de cette pratique avec les aides d’État.
Tous les ports ne sont pas soumis aux mêmes contraintes. Ainsi ceux situés dans un estuaire doivent réaliser des travaux de dragage beaucoup plus importants que ceux implantés sur d’autres parties du littoral, ou sur le littoral méditerranéen. Certaines régions nécessitent une protection environnementale renforcée au point de neutraliser une partie du patrimoine portuaire. À propos des ports de Sherness et de Bristol (Royaume-Uni), la Cour de Justice a considéré que leur extension n’était pas admissible en raison de la nécessaire protection des oiseaux sauvages et des habitats naturels, précisant même que cet objectif primait sur les intérêts économiques et sociaux.
Il est admis que, sous certaines conditions fixées par la jurisprudence, les opérateurs assumant des obligations de service public puissent bénéficier d’une compensation financière de la part des personnes publiques, sans que cette contribution soit qualifiée d’aide d’État. Les entreprises concernées ne doivent pas profiter en réalité « d’un avantage financier et […] ladite intervention n’a donc pas pour effet de placer ces entreprises dans une position concurrentielle plus favorable au regard des entreprises concurrentes ».
Des entités économiques atypiques
Lorsque les ports sont administrés par des établissements publics, en raison des contraintes que ceux-ci subissent, on ne saurait les assimiler à des entreprises au sens courant du terme. En effet, les gestionnaires de port doivent accueillir des navires en difficulté, ceux faisant l’objet d’une saisie ou arraisonnés en mer pour des infractions douanières ou aux pêches maritimes, et supporter la présence de navires abandonnés ou d’épaves.
Les Grands ports maritimes ont parmi leurs missions légales l’exercice de la police portuaire, la protection de l’environnement, notamment sur le domaine public naturel qui leur est remis en jouissance par l’État. S’ils ne sont pas assujettis à l’impôt sur les sociétés, ils subissent les prélèvements obligatoires de l’État fixés de manière discrétionnaire et indépendamment du volume annuel du trafic du port. En application de la théorie des mutations domaniales, l’État peut affecter d’office une partie du patrimoine de l’établissement portuaire à des fins étrangères à sa destination.
Les Chambres de commerce et d’industrie concessionnaires de l’outillage public dans les ports relevant des collectivités territoriales ou de leur groupement connaissent des contraintes similaires à celles des Grands ports maritimes, à l’exception des prélèvements obligatoires. De surcroît, elles financent les « biens de retour », c’est-à-dire les équipements et outillages nécessaires à l’exploitation de la concession, mais qui appartiennent au concédant dès leur construction ou acquisition. En raison du principe de précarité de toute occupation du domaine public, les établissements consulaires peuvent subir à tout moment, pour un motif d’intérêt général, le retrait partiel ou total de leur concession. C’est une situation que ne connaissent pas habituellement les entreprises commerciales.
En lançant des enquêtes approfondies sur les exceptions fiscales au profit des établissements portuaires belges et français, il faut souhaiter que les membres de la Commission prennent connaissance de la réalité du monde portuaire. Selon la Cour de Justice, pour qu’une « mesure nationale puisse être qualifiée d’aide d’État: premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Et, quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence ». Il semble difficile d’établir de manière certaine si l’exonération des établissements gestionnaires de ports à l’impôt sur les sociétés constitue ou non une aide d’État, tant les situations sont diverses et évolutives, et les missions de nature juridique différentes, et ce, au regard de quatre critères cumulatifs intéressant à la fois des missions régaliennes et à caractère industriel et commercial.