Les mots « toutes les parties concernées doivent s’approprier le projet de canal Seine-Nord Europe » ont résonné à plusieurs reprises lors du colloque organisé par la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de l’Oise à Beauvais le 19 mai. Le premier à les prononcer a été Philippe Enjolras, président de la CCI, en précisant que « ce sont aux entreprises, collectivités, chargeurs, transporteurs, etc. de se mobiliser ou remobiliser » autour du projet Seine-Nord Europe (SNE). Philippe Enjolras a fait part de « sa certitude » sur le faitque le projet se réalisera. Le deuxième à les prononcer a été Rémi Pauvros, député du Nord, ayant été deux fois parlementaire en mission sur le projet: « Le monde économique a été déterminant pour l’avancement du projet, il doit désormais se l’approprier. Il faut faire participer l’ensemble des acteurs concernés par le projet, y compris les riverains. » Il a lui aussi fait part de sa conviction sur la réalisation de SNE: « Tout est réuni, le projet est irréversible. Le président de la République ne va pas aller à Bruxelles pour décliner ou rendre les sommes allouées au financement de SNE par l’Union européenne. » Rémi Pauvros a souligné que « SNE n’est pas seulement un projet d’aménagement ni d’infrastructure, mais un projet économique et environnemental ». Il s’agit d’un projet évolutif, « inscrit dans le temps », avec des zones ou plates-formes à aménager le long du canal pour favoriser le développement économique au fil des années.
« Les mentalités évoluent »
C’est notamment au niveau des plates-formes que le monde économique a un rôle à jouer, selon Rémi Pauvros, car leur implantation doit répondre aux besoins et aux intérêts des marchés, à l’utilisation de la voie d’eau de manière efficiente par rapport aux autres modes de transport. La procédure Grand chantier, mise en place par l’État et pilotée par le préfet des Hauts de France, permet d’associer les entreprises de toute taille et de préparer les appels d’offres pour favoriser les retombées économiques et d’emplois au niveau local lors de la phase des travaux du canal. Parmi les points à faire avancer, il reste à relancer la profession du transport fluvial, à remettre à niveau la flotte française. « Les professionnels du transport fluvial sont déterminés », a souligné Rémi Pauvros. Ce dernier a aussi indiqué que « si certains ports présentent une attitude très défensive, les mentalités évoluent ». Des missions parlementaires sont en cours sur l’axe Seine et du côté de Dunkerque pour trouver des solutions concernant les évolutions d’infrastructures nécessaires d’ici à la mise en service de SNE et la relance des trafics. Le troisième à les prononcer a été Didier Martin, préfet de l’Oise. Celui-ci a annoncé que le secrétaire d’État aux Transports, Alain Vidalies, a confié trois missions au préfet coordonnateur: piloter la démarche Grand chantier, préparer une charte d’aménagement et de développement économique, et communiquer pour permettre l’appropriation du projet par les riverains, le monde économique, les collectivités locales. Pour Didier Martin, « SNE sera une réussite grâce à la capacité d’entreprendre du monde économique avec le soutien de l’État et de ses institutions ». Pendant le chantier, 3 000 à 6 000 emplois directs seront créés et 7 000 induits. À l’horizon 2050, ce sont 45 000 emplois induits liés au canal qui pourraient voir le jour en Normandie, en Ile-de-France et dans les Hauts-de-France.
Créer les conditions de la massification
Nicolas Bour, directeur des liaisons européennes et de l’innovation à Voies navigables de France (VNF), a appelé le monde économique à répondre massivement au questionnaire « canal entreprises » pour se faire connaître et faire part des besoins ou des projets en lien avec le projet SNE lors de la phase des travaux et après. « Nous avons beaucoup de réponses d’entreprises du BTP. Nous avons besoin des réponses et remarques des entreprises de logistique, de chargeurs, directement utilisatrices du canal ou exerçant des activités connexes », a précisé Nicolas Bour. Pendant la phase chantier, 15 Mt de matériel vont être nécessaires à la construction du canal. VNF souhaite qu’un maximum de tonnage arrive par transport fluvial, mais a besoin de flux retours et de solutions d’économie circulaire notamment pour les déchets et les déblais en utilisant majoritairement les quais du canal du Nord. Une fois SNE en service, pour Nicolas Bour, le gisement de croissance des trafics repose sur les imports/exports des industries et des centres de distribution ainsi que sur les activités liées à l’agriculture. Pour les conteneurs, « cela dépendra de la massification et de la mutualisation de petits lots ». Selon le directeur des Ports de Lille, Alain Lefevre, « le canal est un moyen qui doit s’inscrire dans une stratégie de réseau ». Selon lui, il y aura une première période au cours de laquelle SNE sera une solution de transit, provoquera une évolution des flux et un transfert modal. Puis, dans un deuxième temps, l’enjeu sera de développer des activités logistiques et industrielles, de nouveaux services. Alain Lefevre a expliqué: « Il faudra être capable de créer un lien entre les besoins des industriels et la massification, d’ordonnancer les centres de production, les lieux de stockage et la massification. Il faudra mettre en place une stratégie globale de développement et la décliner localement en fonction des besoins industriels. » Alain Verna, président de l’Association logistique Seine Normandie, a rappelé la nécessité d’améliorer les infrastructures sur l’axe Seine dans la perspective de la mise en service de SNE en 2023. Il a mentionné un accès fluvial direct à Port 2000, une mise au gabarit européen de l’Oise, la création d’un lien entre l’axe séquanien et SNE – par exemple entre Pontoise et Compiègne –, et la liaison ferroviaire Serqueux-Gisors. « Concernant le maillage des infrastructures, le développement de plates-formes et de quais reliés les uns aux autres et à SNE, et à l’Oise et à la Seine, est nécessaire au cours d’une deuxième phase », a poursuivi Alain Verna qui a cité PSMO à Achères, Longueil-Sainte-Marie, Nesles, Cambrai, Marquion. « Les plates-formes sont synonymes d’emplois et de création de richesses bien davantage que le transport fluvial ou le nombre de bateaux. » Pascale Larivière a présenté les deux missions confiées à Business France dans le cadre du projet SNE: attirer des investisseurs étrangers et faire s’implanter des entreprises le long du canal pour des activités industrielles ou logistiques, des centres de production ou de distribution. Pascale Larivière a assuré: « Des fonds d’investissements internationaux sont susceptibles de financer des projets définis et détaillés à court et moyen terme en lien avec SNE dans les filières de l’économie circulaire, du recyclage, des énergies renouvelables. »
La bataille grand gabarit/petit gabarit
Michel Dourlent, président de la Chambre nationale de la batellerie artisanale (CNBA), a mis en avant « le soutien de la profession à toute nouvelle infrastructure fluviale ». Il a alerté sur la nécessité de disposer « des moyens pour renouveler la flotte dans la perspective de l’arrivée du canal Seine-Nord Europe avec des solutions d’optimisation financières et fiscales ». Il a souligné le caractère indispensable de l’entretien du réseau existant et notamment les voies à petit gabarit. Sur ce point, Guillaume Dury, directeur commercial de Voies navigables de France (VNF), a relevé: « Il y a une réalité qui s’impose à l’établissement. Quatre pourcents du transport de fret sont réalisés sur le réseau à petit gabarit, 96 % sur le réseau à grand gabarit. Il y a une tendance de VNF à pérenniser les 96 % et à rendre le réseau à grand gabarit le plus compétitif que possible. » Il a proposé de « réinventer le modèle du petit gabarit », réseau sur lequel, aujourd’hui, le transport fluvial n’est pas compétitif. L’une des options pourrait être d’organiser des rotations à courte distance sur le petit gabarit situé à proximité du grand gabarit. « C’est une question d’innovation au niveau français et européen pour rendre la cale plus compétitive en proposant des offres logistiques diversifiées. »