Les 20 et 21 novembre à Amsterdam, une centaine de chargeurs, de représentants de transporteurs maritimes et routiers, d’autorités portuaires européennes ont, débattu des possibles futurs de quelques modes de transport. L’European Shippers’ Councils tenait son forum annuel.
Le futur immédiat du transport maritime de ligne régulière a un curieux parfum de passé.
Globalement, pour 2006, la demande est là mais les taux ont baissé. Il y a eu une forme de panique de la part des compagnies concernant la surcapacité, rappelle Jacques Saadé, président de CMA CGM. Il ajoute que durant le 3e trimestre de l’année, si les navires en est-ouest étaient pleins à plus de 95 % cela n’empêcherait pas les pertes d’exploitation.
À 250 $ le 20’dans le sens Europe/Chine (non comprises une BAF d’environ 300 $ par EVP et une CAF de 6 à 7 % par définition variable) et 1 500 $ par 20’ all in dans l’autre sens, on peut s’interroger sur la signification de la tarification maritime.
Pour 2007, il n’y a pas de raison de paniquer, affirme Jacques Saadé car la croissance des demandes de transport, qu’elle soit chinoise, indienne ou vietnamienne, devrait être du même ordre de grandeur que celle de l’offre. Mais l’équilibre reste fragile. La tarification de la ligne régulière ressemble en effet de plus en plus à celle des matières premières, sans référence aux coûts de production.
En sa qualité de président de l’ELAA, Jacques Saadé parle clair: si les récentes(1) propositions de l’association européenne des armateurs de ligue pour remplacer le système conférentiel à partir d’octobre 2008, sont rejetées, la concentration armatoriale se poursuivra, entraînant une rigidité des taux de fret et vraisemblablement un renforcement du rapport de force entre les clients et leurs fournisseurs. Jacques Saadé plaide donc pour l’établissement ou le renforcement d’un niveau minimal de confiance entre partenaires commerciaux. Un sujet régulièrement évoqué depuis une vingtaine d’années.
CONDUIRE AU CHAOS
De son côté, Lars Jensen, directeur de la Global Intelligence and Analysis pour Mærsk Line et Mærsk Logistics, explique que l’interdiction qui pourrait être faite aux transporteurs d’échanger des informations sur les capacités actuelles et futures entraînerait une forme de chaos.
Le paquet de sept propositions présentées par l’ELAA au printemps dernier comme étant "absolument nécessaires au maintien de la stabilité de l’offre de services réguliers vers (ou depuis) l’Europe après la disparition du règlement 4056"(1) est rejeté par Jean-Louis Cambon, responsable des transports maritimes chez Michelin. Il ajoute que les gros chargeurs n’ont pas besoin d’indices de prix, d’ailleurs très difficiles à constituer. Difficulté confirmée par Philip Damas, analyste chez Drewry Shipping Consultants Ltd: le recueil des taux est très délicat du fait de la confidentialité des données. Seuls les taux spot récupérés auprès des commissionnaires de transport qui le veulent bien, seraient accessibles. Si un réel besoin d’indices tarifaires devait se faire sentir, cela viendrait du marché et non pas des fournisseurs de transport, souligne Jean-Louis Cambon qui rappelle que la concentration des armateurs avait commencé bien avant que ne soit évoquée la possibilité de mettre un terme au règlement 4056.
Les armateurs se battent sur les prix et non pas sur la qualité de leurs prestations, regrette-il. Si bien que 27 % des factures reçues par Michelin sont fausses tout comme 21 % des connaissements. Un conteneur sur 29 est en "non-qualité"; cela rappelle les plaintes "franches et contrastées" exprimées par quelques gros chargeurs français envers la CGM à la fin des années 1980.
John Allan, président de Freight Forward International(2), souligne que son organisation s’associe pleinement à l’action des chargeurs européens visant à la libéralisation croissante des transports maritime, routier et ferroviaire.
Chris Welsh directeur général à la puissante Freight Transport Association britannique plaide en faveur de la modernisation des termes et conditions du transport sous connaissement (B/L). Schématiquement, rien n’autorise le transporteur à imposer au chargeur les clauses de son B/L: il ne s’agit en aucune façon d’un contrat d’adhésion qui permet au transporteur d’imposer son droit applicable, son tribunal compétent ou la route suivie et de n’être pas responsable en termes de chargement en pontée, d’interruption ou de retard de voyage.
B/L: DES CLAUSES PLUS ÉQUILIBREES
Les membres de la FTA ont donc réfléchi à de nouvelles clauses dans les B/L beaucoup plus équilibrées en leur faveur. Elles devraient être officiellement présentées d’ici à la fin de l’année. L’étape suivante est de convaincre les grands commissionnaires de transport, ajoute Chris Welsh, et peut-être les autres chargeurs européens. En effet, cette initiative semble actuellement être purement britannique, même si elle a reçu le soutien public du président néerlandais des ESC, lors du forum. Seuls les chargeurs les plus importants sont invités à réfléchir à leurs réels besoins en la matière. Astucieusement, Chris Welsh fait remarquer qu’après chaque grande libéralisation dans l’aérien, le routier ou le ferroviaire, il y a une sorte de "big bang" dans l’organisation du mode considéré, avec de fortes évolutions du rapport de forces entre clients et fournisseurs. Dans la ligne régulière, la fin programmée du 4056 en octobre 2008 et la levée, probable ou espérée, de l’exemption dont bénéficient les P&I Clubs en 2009 devraient faire date.
THROMBOSE DU SYSTÈME: "CELA NE PEUT PLUS DURER"
La congestion du système de transport routier, on en parle en France. On la vit, mal, à Hambourg, Amsterdam ou en Grande-Bretagne.
"Cela ne peut plus durer" se plaint un représentant du port de Hambourg: les terminaux portuaires sont pleins (taux d’utilisation prévu de plus de 98 % en 2007), les terminaux intérieurs sont pleins, les capacités ferroviaires sont saturées. Et le "merchant haulage" étant majoritaire, il y a peu ou pas d’anticipation possible des destinations intérieures. Après avoir essayé de sensibiliser réceptionnaires et transporteurs au cours des quatre dernières années, le temps de stationnement gratuit à quai a été réduit ainsi que l’autorisation de stocker les conteneurs vides. "Nous devons changer nos habitudes de commerce, sinon nous allons sûrement dans le mur" plaide le représentant du port allemand. En écho, un responsable transport d’un grand réceptionnaire de jouets raconte qu’il vient de recevoir d’Extrême-Orient 120 conteneurs sur le même navire, un tel volume étant impossible à dépoter en quelques jours. Les conteneurs ont donc attendu à quai. Il invoqua sa centaine de fournisseurs chinois, la très forte saisonnalité de ses ventes et la semaine de vacances chinoises qui tombe à la mauvaise période.
Dans la région d’Amsterdam, aucune entreprise située en bordure de canal n’est autorisée à augmenter ses capacités de production si cela entraîne une hausse du trafic routier, expliquait le président du port d’Amsterdam. Aussi, la place portuaire a-t-elle mis en exploitation depuis janvier dernier, une barge de 130 EVP autodéchargeante d’une capacité de levage 100 t qui fait la navette entre un terminal dédié et les sites des différents chargeurs.
Un consensus semble régner concernant une probable hausse du prix du transport terrestre en Europe, congestion et meilleure prise en compte de l’environnement aidant. Une sorte de régulation par le prix.
La thrombose du système de transport du sud de la Grande-Bretagne a ébranlé les esprits, il y a trois à quatre ans environ, rappelle le représentant de Corus, fruit du rapprochement en octobre 1999 de British Steel et du néerlandais Koninklijke Hoogovens (9 milliards £ de chiffre d’affaires de produits en acier et aluminium, 40 000 à 45 000 EVP). Outre la congestion, le second problème de Corus est de disposer de vides à proximité des usines, les transporteurs ayant comme principale motivation de renvoyer leurs équipements au plus vite en Asie. Corus a donc complètement remis à plat son organisation de transport et signé des accords de mise en place de dessertes ferroviaires qui ne peuvent cependant pas transporter les conteneurs "High Cube". Pour encore mieux massifier les flux, ce chargeur propose ses services aux entreprises voisines, une solution qui rappelle l’Alliance maritime d’industriels…
Pour limiter le risque de retard dans le passage portuaire, un intervenant conseille aux chargeurs de choisir les armateurs selon le couple port et qualité de fonctionnement du terminal touché.
(1) JMM 4515 du 30 juin 2006; p. 6
(2) FFT a pour membre: ABX Logistics, DHL, Geologistics, Kuehne+Nagel, Panalpina et UTI. Ils disent représenter entre 25 et 30 % de la demande de transport maritime, sans autre précision.