L’acquisition des activités de commission de transport de Bolloré Logistics non encore finalisée, pour lesquelles CMA CGM va débourser 5,5 Md$, le groupe marseillais ne désactive pas et cherche encore à étoffer, par des opérations de croissance externe, sa filiale, Ceva Logistics, l’ex-commissionnaire suisse qu'il avait sauvé en 2018 de la convoitise du danois DSV.
Les conseils d'administration de l’entreprise britannique Wincanton et Ceva Logistics UK Rose (Bidco, société créée en vue de l’acquisition) sont parvenus à un accord sur les conditions d'une offre portant sur la totalité du capital au prix de 450 pence par action.
L’acquisition, d’une valeur 566,9 M£ (659 M€), représente une prime de 52 % par rapport au cours de clôture de l'action, 6,8 fois son Ebitda (bénéfice avant déduction des charges, des produits d'intérêt et des impôts) et 11,7 fois son Ebit (résultat d'exploitation brut), sur une période de douze mois se terminant le 30 septembre 2023. Un niveau plutôt supérieur à d'autres transactions comparables dans le secteur de la logistique.
Le conseil d'administration de Wincanton a donc recommandé aux actionnaires d'accepter l'offre tandis que l’opération a été soutenue jusqu'à présent, par environ 7 % des investisseurs dans des lettres d'intention, selon un document déposé à la Bourse de Londres où elle est cotée.
Spécialiste de la logistique mass market
Sous réserve de toutes les approbations, Ceva ferait entrer dans son giron une entreprise ancestrale (100 ans) et poids-lourd en Royaume-Uni (20 300 personnes, 170 sites, flotte de 8 500 véhicules) dont les solutions logistiques (stockage, manutention et distribution) s’adressent principalement à quatre secteurs : les marques omnicanales de l’e-commerce (efulfillment), la grande consommation et la vente au détail (parmi ses clients, le géant suédois de l’aménagement et la chaine de magasins britannique Asda), la gestion de la supply chain pour des détaillants et fabricants, et une offre spécifique pour approvisionner des clients dans les infrastructures (défense, énergie, santé, matériaux de construction, secteur public).
Un chiffre d'affaire de 1,7 Md€
En 2023, Wincanton a enregistré un chiffre d'affaires de 1,46 Md£ (1,7 Md€), un Ebitda de 121,9 M£ (141 M€) et un Ebit de 70,8 M£ (82 M€). Au 30 septembre 2023, Wincanton disposait d'une trésorerie nette de 18,1 M£.
Avec cette transaction, la filiale commission de transport de CMA CGM ferait plus que doubler son chiffre d’affaires.
Ceva génère environ 950 M$ de revenus annuels au Royaume-Uni, opère outre-Manche principalement dans la logistique contractuelle (500 M$, 500 000 m2) et les activités terrestres et ferroviaires (290 M$, 550 000 expéditions).
Ascension éclair
Finalement, en peu de temps, CMA CGM aura consolidé un pôle logistique puissant autour de sa filiale (15 Md$ de revenus) en l’étoffant par des opérations de croissance externe dans différents secteurs, à l’instar du retail (CLS Ingram), de la logistique des véhicules finis (Gefco) ou encore de la livraison du dernier kilomètre (Colis Privé).
En reprenant les activités logistiques de Bolloré (710 000 EVP en maritime, 390 000 t traitées en aérien), la société marseillaise a mis la main sur un bout de l’empire créé par Vincent Bolloré qui pesait, au moment de l’acquisition, 34 % du chiffre d’affaires du groupe familial (20,67 Md€ en 2022) et 578 M€ en termes de résultat opérationnel ajusté (Ebitda), mesure étalon dans la commission de transport.
Ce faisant, Ceva Logistics est de taille à se hisser parmi les cinq grands du secteur derrière DHL, Kuehne + Nagel, DSV et DB Schenker.
Le 3PL (110 000 employés) est désormais présent dans 170 pays, exploite près de 900 entrepôts de logistique contractuelle et de fret, détient 10,3 millions de m2, et transporte environ 520 000 t de fret aérien et 1,3 MEVP de fret maritime.
La combinaison des activités logistiques du troisième armateur mondial de porte-conteneurs représente un chiffre d’affaires global de près de 24 Md$ sur la base de leurs résultats en 2022 (les recettes de Maersk dans le même segment, qui partage une approche similaire, atteignaient 14 Md$ à période comparable, au-delà depuis).
Bataille non livrée
Les armateurs investissent la logistique pour s’affranchir, jurent-ils, des cycles diaboliques du transport maritime et de volatilité des taux de fret, la logistique s’appuyant sur des contrats plus fiables à prix fixes.
Pendant des années, le scénario de l’affrontement entre mastodontes de la commission de transport et de l’armement de navires est revenu de façon régulière sur la scène médiatique.
Après deux années qui ont permis aux exploitants de porte-conteneurs de devenir bien plus riches que les commissionnaires, cette bataille-là n’a en réalité pas été livrée. Les grandes compagnies maritimes se sont servies avant tout le monde.
Les incursions des grandes compagnies de transport de ligne dans la commission de transport – CMA CGM avec la reprise de l’entité Bolloré Logistics, MSC avec son offre sur Clasquin –, témoignent de la détermination de certaines à investir la supply chain en mode air-mer-terre voire de se réapproprier la connaissance des flux des clients finaux, les chargeurs, que seuls maîtrisent aujourd’hui leurs clients intermédiaires, les commissionnaires de transport.
Adeline Descamps