Israël-Hamas : des risques contrastés selon les segments du transport maritime

port Ashdod

Hypersensible aux tensions géopolitiques, le transport maritime affronte son troisième point de tension après la pandémie et la guerre en Ukraine. Les flux d'énergie sont en première ligne. Les ports les plus proches de la bande de Gaza sont à rude épreuve. La menace pour les conteneurs est plus diffuse. La proximité du canal de Suez et du détroit d'Ormuz inquiète en revanche.

Au cours des 36 derniers mois, le monde aura donc subi une pandémie qui laisse un arrière-goût en bouche à certains acteurs de la chaîne d'approvisionnement, puis l'invasion de l'Ukraine par la Russie qui a provoqué une ruée vers le gaz et un retour au charbon dans certaines régions.

Le premier choc a fait les riches heures des porte-conteneurs. Le second a permis de remettre en selle les navires-citernes, qui étaient exploités depuis mi-2020 en deçà de leur seuil de rentabilité.

Et voilà que s’ouvre un nouveau front au Moyen-Orient qui peut rapidement métastaser pour consumer toute la région si le Hezbollah réagit et si Tel-Aviv frappe son ennemi iranien, suspecté d’aider le Hamas dans ses actes et de soutenir le puissant groupe militant du Liban.

L’attaque, menée le samedi 7 octobre, par le Hamas contre Israël a pris le monde par surprise bien qu’elle n’est que le dernier épisode sanglant d’un siècle d’affrontements dans la région (pour éclairer la complexité et donner des clés de lisibilité, rien de tel que les cartes cf. cet article du Monde).

Le ministère de la Santé palestinien a fait part de la mort de 2 215 personnes, les notamment dans le territoire de Gaza, cette bande côtière longue de 40 km et 10 km de large, qui a connu tant de convoitises et contraint tant d’exodes. Les autorités israéliennes comptent aussi leurs morts par milliers, plus de 1 600 en quelques jours à peine de conflit.

« Les conflits géopolitiques et les crises sanitaires mondiales, aussi regrettables soient-ils, ont souvent des conséquences inattendues, en stimulant les profits dans des secteurs spécifiques. Les guerres ont tendance à gonfler les bénéfices des entreprises de défense, tandis que la pandémie a entraîné des gains substantiels pour certaines entreprises pharmaceutiques. Le secteur maritime n'échappe pas à cette dynamique, les armateurs tirant des bénéfices inattendus des deux types de crise », rappelle Christian Roeloffs, PDG de Container xChange, s’exonérant d’évoquer dans de telles circonstances les pertes et profits d’une industrie.

Les flux d'énergie en première ligne

Hypersensible mais résilient face aux tensions géopolitiques, le transport maritime va donc devoir composer avec un troisième point de tension, dont les effets sensibles concernent principalement les flux d'énergie. Leur reprise progressive depuis juin était déjà fauchée par les craintes concernant la santé de l'économie mondiale.

Le conflit survient de surcroît dans un contexte où l'Arabie saoudite et la Russie, les plus grands producteurs de l'OPEP+, continuent de verrouiller leur offre jusqu'en décembre pour soutenir les cours mondiaux.

Les ports mis à l'épreuve

Port en eaux profondes construit en pleine mer, Ashdod est l'un des trois principaux ports de marchandises d'Israël avec Haïfa et Eilat.

Parce que situé à 50 km de la frontière de Gaza, Ashdod est, avec Ashkelon, à 15 km de la frontière de Gaza, particiulièrement exposé aux attaques de missiles. Il s’est donc mis en « mode d'urgence » tandis que le port pétrolier d'Ashkelon, par où entre plus de 85 % des importations totales de brut du pays, est en principe fermé, mais l'autorisation d'accoster ou de décharger une cargaison amarrée au mouillage du port peut être accordée au cas par cas.

« Les navires ne peuvent décharger leur cargaison que lorsqu'ils sont amarrés à des bouées, ce qui donne une indication du niveau de risque », précise Christian Roeloffs.

Adani Ports, l'opérateur d’origine indienne du port, évoque pour sa part un plan de continuité des activités, ce qui rend la situation peu claire.

Ashdod applique pour sa part des procédures d'entrée strictes pour les navires transportant des matières dangereuses (« Hazmat »), a précisé Hapag-Lloyd.

« À l'heure actuelle, les opérations portuaires dans les principaux terminaux israéliens continuent de fonctionner normalement et nous ne prévoyons pas d'impact substantiel sur nos principaux hubs d'Ashdod et de Haïfa », a indiqué de son côté Maersk dans une information adressée à ses clients.

L’armateur danois de porte-conteneurs, qui dispose de bureau à Tel Aviv et Haïfa, a également indiqué que les réservations de conteneurs à destination et en provenance du pays étaient toujours possibles et que les services routiers et ferroviaires intérieurs étaient opérationnels. Seul le fret aérien est affecté par l'annulation de plusieurs vols par des compagnies aériennes.

Le transporteur avait tout aussi promptement réagi à la suite de l’agression russe en mer Noire avant de se résoudre, comme la plupart de ses pairs, à déserter le terrain.

MSC s'est fait l'écho de ce sentiment, répétant que les principaux terminaux israéliens étaient tous opérationnels.

Seul ZIM, basé à Haïfa, a introduit une taxe de guerre sur les voyages à destination et en provenance d'Israël tout en soulignant aussi le maintien de ses opérations « sans perturbations significatives sur les itinéraires à destination et en provenance d'Israël ».

À l'heure actuelle, malgré la situation de guerre en Israël, tous les ports locaux, à Ashdod, Haïfa et Eilat, fonctionnent normalement. Des interruptions de service peuvent toutefois survenir, à court terme, en raison des directives de sécurité imposées par les autorités israéliennes ».

La flotte stratégique, à laquelle commence à réfléchir la France, est une réalité en Israël. En dehors de ses employés réservistes, ZIM peut voir une partie de sa capacité mobilisée en cas d'urgence ou à des fins de sécurité nationale par le gouvernement d'Israël (« special state share »).

Région déjà classée en zone à haut risque

La situation de guerre dans le pays a poussé les compagnies d'assurance à imposer une prime de guerre à tous les navires faisant escale dans les ports israéliens, a justifié la compagnie maritime  israélienne dans une note à ses clients.

Avant les attentats, Israël faisait déjà partie des pays du Moyen-Orient considérés par le Joint War Committee (JWC) parmi les zones à haut risque qui désignent celles menacées par la guerre, la piraterie, le terrorisme et les risques connexes.

Les exploitants de navires doivent ainsi s’acquitter d’une surprime pour les voyages de sept jours vers Israël. Depuis le regain de tensions, elles ont décuplé pour atteindre environ 0,15-0,2 % de la valeur d'un navire, ce qui se traduit par des dizaines de milliers de dollars de coûts supplémentaires. En comparaison, la prime était de 0,0125 % au début de l'année, selon des sources d'assurance.

« Les ports israéliens sont considérés comme présentant un risque accru », a tranché la société britannique Dryad Global, spécialisée dans le conseil et la sécurité en matière de risques maritimes.

« Si les ports sont opérationnels, leur situation peut évoluer rapidement », prévient pour sa part le Gard, le plus grand assureur de protection et d'indemnisation (P&I) des 12 membres du Groupe international des clubs P&I.

« La situation en Israël reste précaire et nous recommandons aux opérateurs de navires et à leurs capitaines qui se rendent dans les ports israéliens de vérifier fréquemment les sources d'information locales, par exemple les agents maritimes, les autorités locales et/ou le correspondant de Gard, afin d'obtenir les informations de sécurité les plus récentes, d’évaluer soigneusement toutes les escales au cas par cas, et de revoir leurs plans d'urgence en conséquence. Nous recommandons également de consulter l'assureur du navire pour risques de guerre bien avant l'arrivée dans n'importe quel port israélien ».

Menace limitée pour les conteneurs

« La menace de perturbations pour les flux de conteneurs en région méditerranéenne reste limitée », reprend Christian Roeloffs dont l'entreprise de logiciels basée à Hambourg est connue pour son outil de gestion des stocks de conteneurs.

Israël est en effet un petit marché pour le transport maritime de conteneurs, Ashdod et de Haïfa ne représentant que 0,4 % du volume mondial manutentionné.

Exploité par Ashdod Port Company, entreprise gouvernementale détenue à 100 % par l’État d’Israël, Ashdod traite un volume de conteneurs (1,43 MEVP en 2022, - 11 %) peu ou prou similaire à Haïfa (1,5 MEVP, + 4 % en 2022 p/r à 2021).

Des échanges commerciaux dominés par les produits high tech

Israël est réputé pour ses produits high tech dont plusieurs grands pays sont des importateurs majeurs.

Les États-Unis lui ont acheté des biens pour une valeur de 18,67 Md$ en 2022, notamment de la haute technologie et des équipements militaires, devant la Chine, dont les importations ont totalisé 4,68 Md$ et l'Inde qui a abondé à hauteur de 3,94 Md$ aux caisses du commerce extérieur israélien.

En Europe, c’est l’Allemagne qui entretient le plus de lien avec le pays du Moyen-Orient avec un commerce estimé à 1,88 Md$.

Quelles conséquences sur le plan géopolitique ?

Les observateurs internationaux ont tous en tête les accords d'Abraham, conclus en 2020 sous l'égide des États-Unis, qui ont permis de rétablir des relations avec les pays riverains comme les Émirats arabes unis et Bahreïn.

Ils ont eu pour effet d’apaiser certaines tensions au Moyen-Orient et de faire revenir des investissements étrangers dans la région, notamment dans le secteur de l'énergie amont (exploitation des importants gisements de gaz naturel), soutiennent-ils.

Les attaques sont perçues par certains comme une tentative de déstabiliser le processus de normalisation des relations diplomatiques entre le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.

Lire aussi : Une alternative européenne et américaine aux routes de la soie ?

Des grands projets d’infrastructures contrariés

Les complexités régionales actuelles compliquent certains grands projets.

Israël est un point clé du corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe (Imec), positionné comme le pendant occidental de la Ceinture et la Route de la Chine.

En marge du sommet du G20 à New Delhi en octobre dernier, les États-Unis, l'Inde, l'Arabie saoudite et l'UE ont signé un protocole d'accord portant sur la mise en œuvre d'un corridor économique qui doit relier les pays du Moyen-Orient par voie ferrée et les connecter à l'Inde par voie portuaire de façon à faciliter les flux d'énergie et de commerce du Golfe vers l'Europe, tout en réduisant les délais de transport, les coûts et la consommation de carburant.

Le projet est encore flou à ce stade, faute de précisions techniques, d'estimation de coût et des modalités de financement. L'Imec devrait se composer de deux corridors distincts : un corridor oriental reliant l'Inde au golfe Persique et un équivalent septentrional entre le Moyen-Orient et l'Europe.

Cette démarche s'inscrit notamment dans le cadre des efforts déployés par les États-Unis pour « faire baisser la température dans la région » et « régler un conflit là où nous le voyons », avait alors assuré Jon Finer, conseiller adjoint à la sécurité nationale des États-Unis.

Mais en termes d’infrastructures, c’est surtout le canal de Suez qui inquiète, en tant que principale voie d'acheminement des marchandises depuis l’Asie vers l'Europe. De même, le détroit d'Ormuz, par où transite un cinquième de l'offre mondiale de brut, pourrait être perturbé si le conflit devait s’envenimer et s’enliser.

Les analystes craignent à ce propos une nouvelle flambée des taux de fret résultant de la hausse des primes d'assurance.

Lire aussi : L'Union européenne en tournée auprès des nantis en gaz et en pétrole

Les exportations de gaz menacées

Israël, qui exporte du gaz vers l'Égypte et la Jordanie (+ 29 % en 2022, 9,2 milliards de m3), est devenu un important producteur de gaz ces dernières années (21,9 milliards de m3 en 2022 et 12,3 milliards au cours du premier semestre 2023 selon les données officielles) grâce aux gisements de Tamar (opérationnel depuis 2013, 11,4 milliards de m3 en 2022), de Leviathan (mis en service en 2019, 10,2 milliards de m3) et de Karish (ouvert en octobre 2022, 1,97 milliard de m3 au premier semestre de cette année).

La major américaine Chevron, qui exploite la plateforme gazière Tamar, au large du port Ashdod, dans laquelle elle détient une participation de 25 %, a reçu l'ordre du ministère israélien de l'Énergie d’y suspendre ses opérations.

L'autre grande plateforme du groupe américain dans la région, située sur le champ Leviathan, n'est pour l'instant pas concernée. Le site est moins proche de Gaza, plus près du port de Haïfa.

Ce n'est pas une première pour Chevron. En mai 2021, l’entreprise avait également été contrainte par les autorités de suspendre ses opérations pendant plusieurs jours après des tirs de roquelles sur des villes israéliennes depuis la bande de Gaza.

En mai 2019, Israël avait également décidé d'interrompre l'approvisionnement en gaz de la plateforme après une recrudescence des combats transfrontaliers entre les militants palestiniens et les forces israéliennes, qui ont duré trois jours.

La perte des importations de gaz israélien en provenance de la plateforme Tamar de Chevron va surtout affecter la capacité de l'Égypte à exporter du GNL, a soutenu Gergely Molnar, analyste gazier de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) à l’occasion de la présentation des perspectives à moyen terme de l'AIE sur le marché du gaz.

L'Égypte importe du gaz israélien des champs gaziers de Tamar et de Leviathan pour répondre à sa demande intérieure et pour les exportations de GNL de ses deux usines de liquéfaction : Idku, exploitée par Shell (capacité de 7,2 Mt par an) et Damiette, opérée par Eni (5 Mt).

Ces deux installations sont considérées comme essentielles pour approvisionner l’Europe en GNL. En juin 2022, la Commission européenne, Israël et l'Égypte ont signé un protocole d'accord trilatéral sur l'approvisionnement de l'UE en gaz israélien via l'infrastructure égyptienne d'exportation de GNL.

Impact sur les prix marginal pour l'instant

Pour l’heure, l'impact sur les prix du gaz en Europe est marginal, a déclaré Goldman Sachs.

Ils ont toutefois augmenté dans le monde entier en début de semaine juste après l’attaque, le nouveau foyer de tension au Moyen-Orient venant se greffer à la grève des travailleurs des usines d'exportation de GNL en Australie.

« Le temps doux a compensé l'ampleur de cette perturbation potentielle de l'approvisionnement en GNL », a ajouté la banque d’affaires.

Le mouvement de la courbe, avec les TTF (Title Transfer Facility, indice de référence des échanges de gaz) en hausse de 8 % pour l'hiver 2023-2024 et de 6 % pour l'été 2024, à 47 € par mégawattheure, est jusqu'à présent justifié, balaie Goldman.

Cependant, l'incertitude autour de la durée de l'interruption de la production de gaz et le risque d’une escalade dans la région sont de nature à influencer les cours, avertit la banque d’affaires.

Adeline Descamps

 

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