La chute de l’empire portuaire chinois n’aura pas lieu

 

Le coronavirus pourrait-il impacter le volume de conteneurs des ports chinois, sachant que même une guerre commerciale entre les deux premières puissances économiques mondiales n’a pas eu raison de leur marche forcée sans trêve ni répit ?

En 2019, les ports chinois, y compris Hong Kong, ont traité 261,25 MEVP, soit une croissance globale de 4 %. Au total, 32 ports ont débité plus de 1 MEVP. Parmi eux, 28 ont encore grignoté des EVP, certains affichant une croissance à deux chiffres (Rizhao, Foshan, Dongguan, Zhuhai, Jinzhou, Wuhan, Shantou, Zhanjiang), voire, pour certains, vertigineuse (+ 33,4 % pour Qinzhou et + 68,5 % pour Nantong). Quatre places portuaires ont accusé des baisses de régime (cinq si l’on considère Hong Kong), dont certaines sévères : Dalian (- 10,3 %) et Yingkou (- 15,6 %). Le sort de Hong Kong (- 6,3 %) est inquiétant, embarqué dans une spirale baissière depuis quatre ans. L’ex-roi portuaire se retrouve désormais à la huitième place mondiale derrière cinq autres ports chinois, Singapour et Busan.

Il reste difficile d’établir une cartographie précise des ports impactés par l’affaiblissement des volumes transpacifiques car ce qui est valable pour l’un ne se vérifie pas pour son voisin proche. Alphaliner s’y aventure, dans une logique parfois insaisissable, plaçant notamment les ports du sud dans la catégorie des plus affectés. Pourtant, si Shenzhen stagne en effet, Guangzhou, Foshan, Dongguan, Qinzhou, Zhuhai… affichent tous une santé éclatante. Les ports pénalisés sont bien peu nombreux pour en tirer de telles conclusions.

Plus consensuelle est sans doute la bonne tenue des ports du centre : Shanghai, Ningbo, tous deux en haut de la hiérarchie portuaire mondiale, Nantong, Nanjing, Jiaxing…manifestement à l’ancrage solide. Dans le nord de la Chine, les volumes combinés des cinq principaux ports ont augmenté de 1,8 %, mais les performances ont été mitigées, les gains de Qingdao et Tianjin ayant compensé les pertes à Dalian et Yingkou, tandis que les volumes de Lianyungang sont stables.

Moins d'escales programmées, plus d'escales annulées

Dans une note technique (Global trade impact of the coronavirus Epidemic) qui vient d’être publiée, la Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) relève que les escales de porte-conteneurs dans les ports chinois, mesurées tant en unités qu’en volumes transportés (sur la base de la position des navires), ont plongé fin janvier et début février. Dans le même temps, les manquées (escales programmées qui n’ont pas lieu) ont fortement augmenté pour atteindre des niveaux habituellement observés fin février et en mars. Schématiquement, le ralentissement du trafic, avec à la fois moins d'escales programmées et plus d'escales annulées, s’est produit beaucoup plus tôt, alors même que le trafic aérien était considérablement ralenti et donc la capacité de fret aérien réduite, ce qui a contraint les fabricants à basculer sur le maritime, y compris pour les marchandises de plus grande valeur et/ou plus sensibles au facteur temps.

L’effet du coronavirus, note la Cnuced, a amplifié un phénomène observable depuis 2018. La guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis avaient déjà affecté les principales routes de la ligne régulière et s’était matérialisée par des réduction de capacités. Avec la tendance au gigantisme des navires, une escale manquée a de facto un impact plus grand sur la capacité disponible.

Pertes de volumes de 10,1 % en janvier et février

Les données d’Alphaliner semblent le confirmer : les ports chinois ont perdu 10,1% de leurs volumes au cours des deux premiers mois de 2020 par rapport à la même période de 2019. Les dernières statistiques de tous les ports côtiers chinois (y compris Hong Kong) attestent d’une baisse de 5,9 % en janvier, un repli lié au début des fêtes du Nouvel An chinois qui a eu lieu le 25 janvier cette année, et le 5 février en 2019. En février, la descente est apnéique, de l’ordre de près de 16 % du fait de la prolongation des vacances du Nouvel An chinois pour limiter la propagation.

À l'exception des ports du Hubei, tous les autres ports chinois ont repris leurs activités normales depuis la fin février, mais les volumes n'ont pas encore retrouvé leur niveau d'avant les vacances. Et compte tenu de l’interdépendance (valable dans les deux sens) de la Chine au monde, les ports chinois vont aussi être sanctionnés par la grande inconnue : à quelle hauteur et pour quelle durée les échanges maritimes vont-ils être impactés par la propagation rapide de la pandémie dans le reste des économies mondiales ? Alphaliner prévoit une baisse de 2 à 5 % des volumes totaux de conteneurs dans les ports chinois pour 2020. L’histoire montre que les événements internationaux ont toujours eu un impact modéré sur ces locomotives portuaires mondiales (33 % des volumes mondiaux) : leur record en la matière est de 6,1 %. C’était en 2009 et provoqué par la crise financière mondiale.

Géographie des économies les plus touchées

L’organisme des Nations unies a par ailleurs établi une géographie des économies les plus touchées par le ralentissement de la première puissance manufacturière mondiale. En font partie l'UE (machines, automobile et produits chimiques), les États-Unis (machines, automobile et instruments de précision), le Japon (machines et automobile), la Corée du Sud (machines et composants électroniques), Taïwan (composants électroniques et bureautique) et le Vietnam (composants électroniques). La facture s’élèverait à 50 Md$ à ce jour.

En février, la Chine a vu son indice PMI, indicateur composite qui prend en compte les prises de commandes, la production, les livraisons et les stocks du secteur manufacturier, tomber à son plus bas niveau depuis 2004 (37,5), signifiant une baisse de 2 % de la production sur une base annuelle. L'indice de fret maritime chinois (SCFI), qui se penche sur les prix au comptant du transport de conteneurs depuis Shanghai vers quinze destinations mondiales, n’en finit plus de baisser, traduisant une offre excédentaire et une demande en berne.

Signe de reprise 

Les données de la société américaine CargoMetrics, qui suit les expéditions dans le monde entier, tendraient à montrer que les importations et les exportations chinoises seraient déjà revenues à leur niveau d’un mois de mars ordinaire. Sea-Intelligence a pour sa part également noté une décélération dans les suppressions des escales annoncées par les armateurs, « signe d’une reprise de la demande ».

« Une fois que l’épidémie sera parvenue aux termes de sa propagation, que la Chine aura retrouvé sa cadence économique normale, il faudra encore beaucoup de temps pour dénouer les tensions infligées au système commercial mondial », notait alors Abudi Zein, le CEO de ClipperData, la société d’analyse sur les matières premières qui a fourni les données à l’étude de la Cnuced. C’était avant que le virus ne sévisse en Europe, imposant la fermeture des frontières et mettant sous cloche tous les secteurs économiques…

Adeline Descamps

Infographie : ©Pixel pour le JMM

 

 

 

 

 

 

 

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