« On rentre dans un cycle qui n'est pas vertueux ». Tel est le constat qu’a d’emblée dressé Arnaud Villéger, le 9 janvier lors de la présentation du rapport 2024 de l’OVI, qui avait lieu à Levallois (Hauts-de-Seine) dans l’immeuble de verre qui abrite BNP Paribas Rental Solutions. Le directeur de l’Observatoire a d’abord dressé un constat que tous les professionnels du TRM du pays connaissent :
- une instabilité politique inquiétante, la France ayant vu défiler pas moins de 4 Premiers ministres en 2024 ;
- une dette qui semble se creuser toujours plus ;
- la confiance des ménages qui est en berne, aboutissant à une baisse de consommation.
- Dans le TRM plus précisément, 53 % des chefs d’entreprise s’inquiètent d’une demande insuffisante (enquête Insee fin 2024).
- Les défaillances d’entreprises ont augmenté de 20 % l’année dernière.
- Même les effectifs sont en légère baisse et les difficultés de recrutement diminuent, alors que la pénurie de conducteurs était une donnée récurrente ces dix dernières années.
Maintien des ventes en 2024. Dans ce contexte, les ventes de camions de plus de 5,1 t se sont pourtant maintenues en 2024, à 48 946 immatriculations dénombrées par l’OVI, contre 48 841 en 2023. Ce résultat entre dans le haut de la fourchette des prévisions effectuées par l’Obeservatoire en janvier l’année dernière (49 300). Mais on doit tenir compte d’une dérégulation du marché durant les six premiers mois de l’année, due à l’instauration par l’Europe du règlement sur la sécurité passive GSR 2 au 1er juillet 2024, qui a eu pour effet de booster artificiellement les immatriculations avant cette date (cliquez sur ce lien pour lire l'article).
Porteurs en hausse, tracteurs en berne. Cela s’est notamment traduit sur les ventes de porteurs de plus de 5,1 t, qui ont bondit de 14,7 %. Ce segment de VI a également bénéficié d’un marché du transport frigorifique demeurant en hausse.
Les tracteurs, eux, ont chuté de 10,2 %, pâtissant des difficultés économiques du secteur TRM mais aussi du recul du BTP.
« On reste dans un niveau d’immatriculations globalement équivalent à la période pré-covid », constate Arnaud Villéger.
Cette stagnation des ventes a un effet bénéfique pour les transporteurs : les délais d’obtention des véhicules après acquisition sont en baisse, à 87 jours après acquisition d’un tracteur livré brut de commande, et à 111 jours pour un matériel nécessitant un carrossage. « Après les années totalement folles de l’époque Covid et post-Covid avec une demande beaucoup plus importante que l’offre, on revient à un rapport plus normal entre acheteur et vendeur de VI, traduit Arnaud Villéger. Le marché se régule ».
2025 sera moins favorable. Compte tenu du contexte économique et politique, les prévisions d’immatriculations de camions en 2025 de l’OVI sont moins favorables, et devraient suivre la tendance à la baisse de la fin de l’année dernière. « Le marché du VI de 5,1 t et plus va chuter en 2025, entre -9,1 % et -16,2 % par rapport à 2024 », annonce Arnaud Villéger.
Les immatriculations de tracteurs et porteurs de plus de 5,1 t se situeront entre 41 000 et 44 500 à la fin de cette année. « L'environnement est illisible, et on sort des années 20-24 durant lesquelles les ventes de camions furent très élevées », précise le directeur de l'OVI.
Combien de camions nouvelles énergies ont été vendus en France ? La transition énergétique, rendue obligatoire par l’application des règlements européens mais aussi français (les ZFE se généralisent en 2025), se lit-elle dans les immatriculations de camions de plus de 5,1 t ?
En 2024, le gasoil reste le carburant ultra-dominant avec 90 % des immatriculations (43 967). Tandis que le gaz baisse (1 560 immatriculations de camions GNV), le biocarburant de transition qu’est le B100, qui fait profiter de la vignette Crit’Air 1 au transporteur si la carte grise du camion est estampillée B100 exclusif, est en hausse avec 2 723 immatriculations.
L’électricité décolle-t-elle ? Quant aux camions électriques de plus de 5,1 t, il s’en est immatriculé 670 en 2024 en France, ce qui correspond à une hausse, mais elle est insuffisante. « Le juge de paix d'une énergie, c'est le TCO », tranche Arnaud Villéger.
Le total coast of ownership (coût total de possession du véhicule en français), tient compte du prix d’achat ou de location du véhicule, de son prix de revient au km, donc du coût du carburant et de la maintenance, et enfin du prix de revente. Un camion électrique se vend trois fois et demi plus cher qu’un gasoil équivalent mais sa maintenance et l’achat d’électricité sont moins chers. Les spécialistes estiment qu’en 2030, un camion électrique pourrait voir son TCO approcher celui d’un gasoil équivalent. « En attendant, à l’heure actuelle le TCO d'un camion électrique n'est valable que s'il y a subventions », note Arnaud Villéger.
Fort de ce constat, il estime que l’annonce sur l’instauration de la fiche CEE Camion électrique (cliquez sur ce lien pour lire l'article) est déterminante. Le dispositif CEE présente l’avantage de ne pas mettre les transporteurs en concurrence entre eux, comme c’était le cas avec les Appels à projets (AAP) « Véhicules lourds électrique » pilotés par l’Ademe en 2022, 2023 et 2024. Et les primes sont importantes.
Considérant cette nouvelle aide en 2025 et la délivrance des subventions liées aux AAP précédents, Arnaud Villéger estime que les ventes de camions électriques pourraient dépasser 1 000 immatriculations en France en 2025. Voilà de quoi teinter d’un léger optimisme des prévisions de ventes de camions globalement pessimistes.
Qu'en est-il des marchés nationaux ailleurs en Europe ?
Les ventes de camions de plus de 5,1 t en Allemagne on chuté de 8,9 % durant les 3 premiers trimestres 2024, mais ce pavillon reste le leader européen avec 62 204 immatriculations (contre 42 453 en France entre janv. et fin sept. 2024).
Les ventes chutent fortement en Pologne (-22,7 %) et bondissent en Espagne (+23,4 % à 27 222 immatriculations entre janv. et sept. 2024).
« Le 1er janvier 2025, Roumanie et Bulgarie ont fait leur entrée dans l’espace Schengen, ce qui aura une incidence sur les mouvements de transport routier à l’Est de l’Europe », avertit Arnaud Villéger.