Sylvie Charles, Fret SNCF : "Nous devons mieux vendre nos capacités pour reprendre des trafics à la route"

Sylvie Charles, directrice générale du pôle Transport Ferroviaire et Multimodal de Marchandises du groupe SNCF.

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L'avenir de Fret SNCF figure au menu de la réforme ferroviaire que vient de lancer le gouvernement. Grève, filialisation, plan d'action pour renouer avec la rentabilité opérationnelle : Sylvie Charles, directrice générale du pôle Transport Ferroviaire et Multimodal de Marchandises du groupe SNCF, a répondu sans tabou à nos questions.

Actu-Transport-Logistique.fr : La Cour des Comptes a jeté une lumière crue sur les mauvais résultats financiers de Fret SNCF, dans un référé publié le 14 septembre dernier. Comment s'est soldé l'exercice 2017 ?

Sylvie Charles : Nous avons connu un exercice en demi-teinte, pour des raisons que nous avions d'ailleurs en partie anticipées. Les très mauvaises récoltes céréalières de 2016 ont eu un impact négatif sur les résultats de Fret SNCF, gros acteur du transport ferroviaire dans ce secteur, au second semestre 2016 mais aussi au premier semestre 2017. La récolte de l'été 2017 a en revanche été bonne en quantité et en qualité, mais nos résultats sont inférieurs aux prévisions. Car les prix mondiaux ont chuté et les clients n'ont commencé à déstocker que tardivement pour l’export, vers le mois de novembre. Sur les autres segments de marchés, les résultats ne sont pas mauvais malgré quelques déceptions, en partie liées aux grèves de 2016 qui conduisent les clients à la prudence, notamment sur le combiné. Au final, nous enregistrons une perte de 114 M€ hors éléments non récurrents, ce qui n'est pas conforme à la marge de redressement que nous avions prévu de franchir.

ATL : Dans son référé, la Cour des Comptes saluait cependant les efforts déjà accomplis, avec des effectifs quasiment divisés par deux entre 2008 et 2015 et la refonte de l'activité wagon isolé. Où en êtes-vous de ce plan de redressement et quelles sont les initiatives que vous menez ou que vous projetez pour renouer au moins avec la rentabilité opérationnelle ?

SC : Fret SNCF compte finaliser son redressement opérationnel en 2020. Nous poursuivons notre transformation pour aller chercher 6 à 7 points de productivité chaque année. Mais notre challenge majeur sera de mieux vendre nos capacités pour aller reprendre des trafics à la route. Nous avons déjà dans notre portefeuille les chargeurs pour lesquels le ferroviaire présente un intérêt évident, dans les céréales, mais aussi la sidérurgie ou les matériaux de construction. Ceux-là, il faut les conserver, en améliorant continuellement la qualité de service et en veillant aux évolutions du marché. Mais pour augmenter les volumes, il faut sortir de l'équation traditionnelle "trains massifs/wagons isolés".

ATL : Comment allez-vous procéder ?

SC : Nous conquérons déjà des trafics routiers avec l'un des produits les plus emblématiques qu’est sans conteste l'autoroute ferroviaire, développée par VIIA. Il n'a pas été facile de trouver le modèle économique sur la première, entre Bettembourg et Le Boulou, mais aujourd'hui, c'est un grand succès. Calais-Le Boulou a quant à elle souffert au démarrage de la crise des migrants. Désormais, au prix de quelques surcoûts, les wagons ont été modifiés et ça fonctionne. À l'heure où les conducteurs routiers deviennent rares, la conjoncture nous est favorable. Deuxième axe sur lequel Fret SNCF, cette fois, travaille directement : la gestion capacitaire. Quand vous regardez la capacité technique maximale des trains prévus dans un plan de transport, vous constatez qu’en opérationnel, les meilleures entreprises ferroviaires parviennent à atteindre un taux de remplissage d'environ 60 % quand les autres sont entre 50 % et 60 %. Pourquoi ? Parce qu’un plan de transport, même bien conçu, peut présenter des formats trop massifs ou mal disposés, surtout quand les volumes varient ! De ce constat est né Optifret, qui donne la possibilité à nos commerciaux de vendre une partie de cette capacité résiduelle connue et affichable. Mais pour aller plus loin, pour mieux encore remplir nos trains, nous devons être capables de concevoir en amont un plan de transport combinant mieux les flux entre eux, combinant mieux les formats, le tout pour rendre plus facile l’accueil de nouveaux lots de wagons.

ATL : Fret SNCF met également beaucoup en avant le train de fret digital développé avec TraxEns. En quoi ce système peut-il se révéler décisif ?

SC : Il est temps de réinventer le ferroviaire pour en faire un mode transport du 21e siècle. Ne pas savoir où sont le wagon et la marchandise, à l'ère des supply chains mondiales, est tout simplement intolérable. Il était économiquement impossible de mettre un GPS sur chaque wagon. En revanche, l’Internet des objet et la communication bas débit nous offrent des solutions formidables, en permettant de rendre "intelligents" nos actifs, sans avoir à les changer tous d'un seul coup. En quelque sorte, on fait du neuf avec du vieux, et ça marche ! Le digital est aussi une source d'amélioration de notre compétitivité à travers, par exemple, l'automatisation des essais de frein. On a prouvé que ça fonctionne, en permettant en même temps de supprimer des tâches pénibles et d'améliorer la sécurité. Plusieurs plateformes technologiques ont vu le jour ces derniers mois en Europe, il faut harmoniser les protocoles de communication en attendant de voir quel standard s'imposera sur le marché. Nous sommes convaincus que la solution développée avec Traxens, ouverte et multimodale, est extrêmement pertinente.

ATL : Le gouvernement vient d'annoncer une vaste réforme du système ferroviaire, sur la base du rapport Spinetta qui allait jusqu'à préconiser une filialisation de Fret SNCF pour permettre ensuite une recapitalisation. Cette voie vous semble-t-elle judicieuse et/ou inéluctable ?

SC : Notre premier sujet est opérationnel : nous devons dégager suffisamment de résultat pour couvrir nos investissements, qui sont au demeurant relativement modestes puisque nous limitons nos actifs, en n'achetant plus de locomotives, notamment. Cela dit, Fret SNCF a accumulé une dette importante qui croît chaque année de façon exponentielle en raison des frais financiers de plus en plus élevés, et qui atteindra prochainement 5 Md€. Nous sommes capables d'aller chercher le redressement opérationnel, mais il est illusoire de penser assurer le remboursement de la dette et des frais financiers. Il nous faudra par conséquent poser la question de la recapitalisation et convaincre la direction de l'entreprise, l'État et la Commission européenne. Dès lors qu'un accord interviendrait, il est très probable qu'une filialisation sera demandée. Mais il faut aussi avoir en tête que cette démarche seule ne suffira pas. Nous avons aussi besoin de visibilité sur des questions comme l'évolution des péages fret et l'entretien des voies de service, dont l'état est aujourd'hui préoccupant. Au-delà de la recapitalisation, on a besoin d'une véritable politique du transport ferroviaire de marchandises. C'est vrai en France, mais aussi en Europe, et je remarque d'ailleurs que l'actuelle commissaire aux Transports, Violeta Bulc, veut faire avancer les choses en matière de report modal. Se donner les moyens d’afficher les externalités négatives des différents modes, comme l’a engagé la Commission, devrait permettre d’avancer.

ATL : Des mouvements de grève sont annoncés pour les trois mois qui viennent à la SNCF, durant la période de négociation de cette réforme. Quel message souhaitez-vous passer à vos clients, à quelques jours du début de ces perturbations ?

SC : Nous travaillons avec nos clients pour assurer leurs priorités et trouver des solutions alternatives. Ces mêmes clients se montrent au demeurant en grande majorité favorables à la réforme. Je discute aussi beaucoup avec les collaborateurs pour lever des angoisses et des malentendus. La période sera particulièrement compliquée dans le transport combiné, compte tenu des spécificités de ce mode. Alors bien sûr, si le mouvement devait durer trop longtemps, il y aurait un effet délétère sur le transport ferroviaire de marchandises. À l'heure où la reprise commence à faire revenir les clients, j'ose espérer qu'on n'en arrivera pas là.

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