Directive détachement : pour la ministre des Transports, "la France sort renforcée de cette négociation"

"Nous avons fait bouger les lignes pour faire avancer la protection des travailleurs dans le transport routier", estime la ministre des Transports, Élisabeth Borne.

Crédit photo David Delion
L'accord européen du 23 novembre sur la révision de la directive détachement a suscité beaucoup d'émotion dans le transport routier. Dans un entretien exclusif à L'Officiel des Transporteurs, Élisabeth Borne a souhaité apporter des éclaircissements pour rassurer les professionnels.

L'Officiel des Transporteurs (OT) : Comment expliquez-vous que les organisations professionnelles n’aient pas accueilli avec plus d’enthousiasme l’accord du conseil ?

Élisabeth Borne (EB) : Je pense qu’il y a eu un certain nombre de malentendus. On va expliquer les discussions qui ont eu lieu et ce que l’on a consolidé avec l’accord du 23 octobre.


OT : Pour commencer, est-ce bien la directive de 1996 qui s’applique au transport routier ou la version qui contient les points de l’accord du 23 octobre approuvé par le Conseil des ministres européens ?

EB : Je veux être très claire : le transport routier est bien couvert par le droit du détachement. Le gouvernement a pris l’engagement de ne pas lâcher le transport routier. Je voudrais rappeler d’où nous venons. Certains pays voulaient explicitement exclure le transport routier du droit du détachement, nous nous y sommes opposés tout au long de la négociation. C’est bien ce qui a rendu cette négociation longue et difficile. Nous n’avons pas lâché, nous avons tenu bon, et je pense que nous avons fait bouger les lignes avec un certain nombre d’États membres, et notamment l’Allemagne, pour faire avancer la protection des travailleurs du transport routier. Je vous confirme que la directive de 1996 s’applique au secteur.


OT : Que répondez-vous à ceux qui affirment que c'est une porte ouverte à la poursuite du dumping social ?

EB : En France, on a pris les devants avec la Loi Macron, un texte très protecteur qui prévoit déjà une rémunération identique pour tous les chauffeurs, quelle que soit leur origine. C’est l’application du principe "à travail égal, salaire égal". Cette loi va continuer à s’appliquer, et la France sort renforcée de cette négociation qui a confirmé son approche. La discussion va maintenant se poursuivre sur les règles de mise en œuvre propres au transport routier dans le cadre du Paquet Mobilité. La France a refusé toutes les exceptions, notamment celles sur les seuils de déclenchement du détachement demandées par un certain nombre d’États, sur le transport international comme sur le cabotage. Ce socle étant posé et étant solide, on va pouvoir aborder sereinement les discussions sur les spécificités du transport routier dans le cadre du Paquet Mobilité. Mais on va aborder également d’autres sujets comme le contournement de ces règles par le recours croissant aux véhicules utilitaires légers. D’ici la fin du mois, je vais nommer un parlementaire pour travailler sur le sujet. En ce qui concerne les contrôles, nous allons nous battre pour avoir un calendrier raccourci pour le déploiement des futurs chronotachygraphes qui nous permettront d’améliorer nos contrôles.

 

OT : Il y a un sentiment diffus de déception dans la profession. Certains évoquent une marche arrière pour les droits des conducteurs qui seraient moins bien traités que les autres travailleurs détachés. Par ailleurs, les lois nationales qui imposent le salaire minimum aux conducteurs ont été contestées par la Commission européenne…

EB : Je ne peux pas laisser dire ça. Avec ce compromis, il est désormais clairement reconnu par les États membres et par la Commission que les règles du détachement s’appliquent au transport routier, ce qui était contesté par certains pays. Si la Commission a déclaré que la directive détachement s’applique aux transports routiers, cela veut dire qu’elle ne va pas contester les mesures que l’on a prises au niveau national pour appliquer cette directive. Avec l’application du principe "à travail égal, salaire égal" de la Loi Macron, les conducteurs routiers français sont donc déjà protégés et vont continuer à l’être contre tout risque de dumping social.


OT : Si la version révisée doit s’appliquer après l’adoption d’un texte ad hoc dans le cadre du Paquet Mobilité, quel sera le calendrier ?

EB : L’application de la directive n’est pas immédiate. On peut discuter dans le cadre du Paquet Mobilité sans être en retard. Je ne veux pas qu’on se précipite mais que nous soyons forts dans la discussion sur le Paquet Mobilité. Je veux que nous discutions des enjeux du secteur, pour avoir un bon accord notamment sur des points qui me sont chers, comme les contrôles, l’accélération du déploiement du chronotachygraphe ou encore le détournement des règles par des VUL. Il n’y a aucune raison que l’on travaille dans l’urgence alors que nous avons un droit protecteur qui s’applique aux 700 000 salariés français du transport routier dès aujourd’hui. Par ailleurs, dans la lancée des contrôles déjà menés, on vérifiera demain le fait que les conducteurs étrangers perçoivent effectivement le salaire minimum. Je rappelle que les organisations syndicales et d’employeurs viennent de conclure à l’unanimité, au niveau national, un accord sur les règles de rémunération dans la branche. Et ce sont ces règles qui vont s’appliquer aux conducteurs détachés.


OT : Comment envisagez-vous la suite des négociations européennes ?

EB : La Commission, le Parlement et le Conseil sont d’accord sur le fait de conforter le droit du travailleur à l’échelle européenne et sur l’application de la directive détachement au transport routier. Ceci dit, on a encore du travail à faire vis-à-vis de certains pays de l’Est pour les convaincre de la nécessité de mettre un haut niveau de protection sociale pour les travailleurs en Europe. Avec l’accord que nous venons d’obtenir, nous abordons ces négociations confortés.

Propos recueillis par Silvia Le Goff, Gwénaëlle Ily et Anne Kerriou

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