La migration digitale dans le secteur du transport maritime, dont on disait qu’elle allait devenir évidente dans le monde d’après-perturbations de la supply chain, prend son temps. Le partage de données qui en découlent se heurtent encore à des montagnes de réticences. Le transport maritime est pourtant le candidat idéal à la numérisation dans la mesure où chaque maillon de la chaîne a son propre système d’informations et fonctionne en silo, la coordination entre tous se faisant toujours par téléphone, mail voire le fax. Le papier y règne encore sans partage.
Après avoir mené en 2019 des projets pilotes de e-BL, version électronique du connaissement traditionnel sur papier, MSC a déployé son offre à plus grande échelle en avril 2021. Le document est stratégique l’un des plus importants, dans le domaine du transport maritime par conteneurs. Il fait office de titre de propriété, de reçu pour les marchandises expédiées et d'enregistrement des termes et conditions convenus.
L’accélération digitale, un cheval de Troie pour les compagnies maritimes
Données hautement sécurisées
Pour mettre en œuvre son offre, l’armateur suisse s’est appuyé sur la technologie développée par la société israélienne Wave BL (au capital de laquelle est récemment entré l’armateur compatriote ZIM).
Basée sur la blockchain, la plateforme garantit à toutes les parties impliquées dans la réservation d’un voyage la capacité d’émettre, de transférer, d’endosser et de gérer les documents de façon instantanée par le biais d'un réseau sécurisé.
« Les documents sont chiffrés lors du téléchargement et les données sont sécurisées à l'aide d'une vérification et d'une authentification automatiques. Ainsi, les processus électroniques sont beaucoup moins susceptibles de falsification, de fraude, de perte ou d'erreur humaine », vantait alors André Simha, directeur général numérique de MSC, et très investi dans la Digital Container Shipping Association (DCSA), dont MSC est un membre fondateur et dont il fut le président. L’association fédère les plus grands armements conteneurisés avec pour objet de lever les verrous à la digitalisation du fret maritime notamment via l’interopérabilité.
« Les clients apprécient la commodité, la rapidité et la simplicité du produit, qui est accessible 24 h/24 et 7 j/7 depuis n'importe quel appareil. La technologie, qui permet de transmettre les documents en quelques minutes, au lieu de plusieurs jours ou semaines, permet des économies importantes, des processus de paiement plus rapides et une réduction des tâches administratives pour les utilisateurs. Le passage aux e-BL réduit également directement l'empreinte carbone de toutes les parties concernées », défend aujourd’hui, après deux ans d’expérience, le leader mondial du transport de conteneurs.
Une économie de 6,5 Md$ en coûts directs
MSC a indiqué ce 15 février qu’il était prêt à passer à un connaissement électronique entièrement normalisé d'ici 2030, avec un objectif intermédiaire de 50 % d'ici cinq ans. Dans le même temps, l’engagement du sans-papier a été signé par les huit autres transporteurs maritimes membres de la Digital Container Shipping Association (DCSA), qui s'engagent à convertir 50 % des connaissements originaux au numérique d'ici cinq ans et 100 % d'ici 2030. Les transporteurs maritimes émettent environ 45 millions de connaissements par an. En 2021, seuls 1,2 % d'entre eux étaient électroniques.
Selon la DCSA, l'abandon du transfert de connaissements physiques en papier pourrait permettre d'économiser 6,5 Md$ en coûts directs pour les parties prenantes, et de permettre une croissance annuelle du commerce mondial de 30 à 40 Md$. Sans davantage étayer.
La blockchain s'invite dans l’hinterland
Effort collectif nécessaire
« La numérisation du commerce international recèle un vaste potentiel pour l'économie mondiale en réduisant les frictions (…) Cela annonce le début d'une nouvelle ère dans le transport maritime par conteneurs, alors que le secteur passe à l'automatisation à grande échelle et au commerce entièrement dématérialisé », a commenté Thomas Bagge, président de la DCSA.
« Il s'agit d'une étape importante dans la création d'une norme numérique pour l'un des éléments les plus coûteux et les plus difficiles à gérer dans le secteur du transport maritime, considère Vincent Clerc, PDG d'A.P. Møller -Maersk. Un connaissement entièrement numérisé permet une expérience client plus transparente tout au long de la chaîne d'approvisionnement (..). Le besoin de numérisation de la logistique est urgent, et le secteur doit accélérer le processus. »
« Il permettra de réduire les délais et les coûts, d'améliorer la satisfaction des clients et d'atteindre les objectifs de RSE. CMA CGM jouera un rôle actif dans cette initiative », s’engage Olivier Nivoix, vice-président exécutif du groupe CMA CGM, en charge du transport maritime
Rolf Habben Jansen, PDG, Hapag-Lloyd, qui propose à ses clients des connaissements électroniques depuis l'année dernière, assure que les clients sont très réceptifs. « L'objectif d'avoir 100 % de connaissements électroniques d'ici 2030 nécessitera un effort collectif de la part du secteur pour en faire une réalité. »
Parmi les autres signataires : Jeremy Nixon, pour ONE, Eric Hsieh, président d’Evergreen Marine, Cheng-Mount Cheng, PDG de Yang Ming, Kyung Bae, PDG de HMM et Éli Glickman, pour ZIM, pionnier des connaissements électroniques avec une proposition formulée dès 2017 sur la plateforme Wave. « Depuis lors, nous avons parcouru un long chemin, en numérisant la documentation pour les clients dans de nombreux pays ».
Adeline Descamps