« Je ne suis ingénieur que par le titre »

Article réservé aux abonnés

À votre arrivée à la direction générale du port du Havre, vous avez parlé de changement dans la continuité. Un peu facile comme expression, non?

Baptiste Maurand: Une réalité! Avant d’être nommé, j’assurais la DGA depuis trois ans, un poste d’observation privilégié pour « sentir » la place portuaire. Il y a néanmoins un changement de pilote et il y a un certain nombre de dossiers qu’il m’importe de faire avancer à grands pas. Quant à la méthode, je m’investis beaucoup dans le dialogue. Construire une vision portuaire commune est d’autant plus important que j’arrive en tant que DG dans un contexte où l’on est en train de fusionner les ports. Une transition à gérer les deux pieds ancrés sur le terrain.

On reproche surtout aux ports français de ne pas avoir le « pied » commercial! Les rentes de l’empire colonial et les flux d’hydrocarbures y auraient stérilisé l’esprit d’entreprise. Vous êtes à l’aise avec cela?

B.M.: Cela change, a déjà changé et va encore changer! Par pragmatisme économique, déjà. Le trafic pétrolier a été divisé par trois en quelques décennies. La culture de l’ingénierie, qui fait l’ADN des ports français, sert aussi, je le rappelle, à répondre à des demandes immédiates de clients qui veulent un quai, une digue pour la chatière, un terrain pour l’éolien offshore ou pour aménager des espaces préfigurant des implantations d’avenir. On a, dans nos équipes, une résilience très forte à cette culture: ils ont construit Port 2000, ils construiront la suite. Mais la génération que j’incarne raisonne d’abord en « services clients » et « développement marchés » avant « gestion des infrastructures ».

La logistique pour capter des industriels et la massification pour aller chercher la marchandise au delà du territoire, ce sont désormais l’alpha et l’oméga des politiques portuaires?

B.M.: Il nous faut une forte capacité de traitement des marchandises sur le territoire pour assurer une continuité logistique de façon à dépoter, empoter, traiter les flux, les distribuer… C’est le sens des PLPN, terrains dédiés à la logistique aménageables rapidement. Nous ouvrons en moyenne 80 000 m2 chaque année depuis 5 ans et le marché nous donne raison. Nous aurons bientôt des annonces importantes à faire sur le Parc logistique du pont de Normandie 3 (PLPN3, deux parcelles de 28,5 et 18,5 ha, à proximité directe du terminal multimodal, avec une capacité de 230 000 m2, en préparation pour fin 2019, NDLR) pour lequel on a des marques d’intérêts significatives. Le PLPN1 affiche complet sur ses 100 ha et il reste 132 000 m2 à commercialiser par Panhard sur le PLPN2 (55 ha, un entrepôt de 24 000 m2 est actuellement exploité par Bolloré Logistics et près de 48 000 m2 seront livré fin 2019 à Mediaco Vrac, NDLR).

Il y a une fatalité portuaire française sur la multimodalité?

B.M.: Ce sont nos poches de progression.Notre sujet est bien le développement du ferroviaire et du fluvial* car c’est là que se situent les grands axes de progrès et les parts de marché à reprendre: le rail pour aller au-delà de l’Île-de-France et notre zone de chalandise doit s’étendre vers l’Ouest de l’Allemagne, la Suisse, l’Italie du Nord. Si la connexion à l’hinterland est le premier sujet qui occupe les ports nord-européens, c’est aussi le nôtre! C’est pour cela qu’on s’est investi avec d’autres ports pour que la modernisation de la ligne entre Serqueux (Seine-Maritime) et Gisors (Eure), qui permettra de désengorger l’axe Paris-Le Havre en 2020-2021, soit en haut de la pile et que l’Europe la finance à hauteur de 33 %. C’est pour cela qu’on a travaillé avec Marseille sur la mise en place d’une navette ferroviaire vers la Suisse. Le terminal multimodal procède de la même dynamique. Ce sont des projets qui nous permettent progressivement de monter en gamme sur l’offre ferroviaire.

À propos du terminal multimodal, où en sont vos démarches pour pérenniser l’infrastructure au-delà de la fin de l’année, la convention d’occupation passée avec l’exploitant actuel (LHTE) ayant été dénoncée. Il se dit que votre projet de reprise en direct de l’exploitation a été rejeté par l’État.

B.M.: On ne peut pas nier que son histoire a été tumultueuse dès les premières années de son exploitation. Il est désormais d’aplomb sur un plan opérationnel et a enregistré un taux de croissance à deux chiffres sur le premier semestre**. Dans son rapport critique, La Cour des comptes avait formulé certaines recommandations comme la nécessaire unification entre le gestionnaire du terminal LHTE (actionnaires Naviland Cargo, Logi Ports Shuttle, CMA CGM et Novatrans, NDLR) et la navette ferroviaire qui assure la tournée du laitier entre les terminaux.

Suivant ses préconisations, nous avons donc lancé un appel d’offres en avril pour une exploitation dans le cadre d’une délégation de service public (DSP) de 25 ans.

Mais aucune entreprise n’a candidaté à date, en juin. Nous étudions donc de nouvelles pistes et notamment celle d’entrer en tant qu’actionnaire dans LTHE. Mais cela ne peut fonctionner que si les autres actionnaires sont prêts à le faire. Et pas à n’importe quel prix. Les négociations démarrent à peine.

Où en est-on au niveau du cadre juridique régulant les deux derniers terminaux de Port 2000 à construire, les fameux postes à quai 11 et 12?

B.M.: Nous avons une consultation en cours que je ne commenterai pas. Elle a été lancée sous le régime de la concession de services, le seul alors applicable juridiquement (la loi Lom était alors en navette parlementaire, NDLR). Nous attendons les offres pour la fin de septembre. S’ensuivront l’attribution, le lancement des appels d’offres pour des travaux fin 2019-début 2020 et une mise en service à l’horizon 2022. Achever Port 2000 est un sujet éminemment important car il s’agit des derniers 700 m de quai et nous avons une demande forte.

Il était question d’un investissement de 85 M€ sur les Terminaux Nord pour les rendre accessible à des navires de plus 400 m grâce à un tirant d’eau de 17 m. Il y aurait un changement de cap…

B.M.: Ce n’est pas un changement de cap. La volonté de développer les terminaux est actée dans notre plan d’investissement de 600 M€. Mais nous voulons d’abord confronter notre vision d’aménagement à ceux qui l’exploitent, les armateurs et les manutentionnaires, pour nous assurer que notre projet est en phase avec leurs attentes. Je veux être en mesure de présenter à mes instances, en novembre, un projet que les exploitants assument comme étant leur vision d’avenir.

Où en est votre offre de soutage GNL?

B.M.: Nous sommes en train d’affiner notre stratégie et pour ce faire, nous avons sollicité les services d’Albert Thissen (ex-président de Hapag-Lloyd France NDLR: ex-président de Hapag-LLoyd France). Nous avons des stocks, des souteurs et des compagnies qui ont de la capacité. Nous serons prochainement à Zeebrugge pour des échanges à ce sujet. Quant au fuel à moins de 0,5 %, nous avons convenu avec les raffineurs locaux de réaliser une analyse conjointe du marché afin qu’ils puissent adapter leur production au plus juste niveau de la demande.

Haropa n’a pas permis de développer une politique commerciale intégrée, une stratégie et des tarifs d’investissement communs. Vous êtes d’accord?

B.M.: C’est une lourde responsabilité que faire l’Haropa de demain. C’est autre chose que le GIE dont on ne peut pas dire qu’il n’ait pas permis d’avoir une offre commerciale plus structurée, d’insuffler une culture client commune, une communication harmonisée et une stratégie de développement foncier. Il a posé des bases solides pour l’intégration des trois ports.

Nous sommes en 2025: quel « rendez-vous » souhaitez-vous ne pas avoir raté absolument?

B.M.: Sans hésiter. Être une place où le fer compte jusqu’à deux chiffres de parts modales… Seul le rail nous permettra de dépasser les 3 MEVP, souvent présentés comme un plafond de verre. Et alors je regarderai vos classements internationaux sur les ports.

*Aujourd’hui, 86 % des flux destinés à l’hinterland du Havre empruntent la route.

** En 2018, le terminal multimodal a vu transiter 160 000 EVP. À fin avril 2019, LHTE faisait état d’une progression d’activité de 12 %, avec la perspective d’atteindre 96 000 à 100 000 conteneurs sur l’ensemble de l’année. Le ferroviaire est majoritaire, avec 55 à 60 % des volumes.

Entretien

Archives

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15